Une homélie de fr.
La Transfiguration nous est racontée aujourd'hui pour nous encourager dans notre marche vers Pâques, pour que le rayonnement de ce mystère nous encourage dans notre existence parfois un peu terne. Mais je crois que ce moment lumineux de l'Évangile est surtout une invitation à voir à notre tour « la gloire de Dieu sur le visage du Christ » aujourd'hui. (Cfr. 2 Co 4, 6)
Nous avons une belle icône de la Transfiguration. Elle nous invite à vivre en enfants de lumière. Elle révèle bien le rayonnement du Seigneur dans sa lumière pascale. Mais nous avons encore une autre icône dans notre chapelle, écrite par le même iconographe Giuseppe Papetti. Et sur cette image du Christ en croix il est écrit : O kurios ths doxhs, 'Le Seigneur de la Gloire'. Le Père Jacques a en effet proposé à l'iconographe qui travaillait chez nous cette inscription, de préférence à celle qui est généralement écrite dans les représentations plus réalistes de la crucifixion, I.N.R.I. Iesus Nazarenus Rex Iudeorum. Cet autre titre qui est sur notre icône provient de l'épître aux Corinthiens (1 Co 2,8) « Si les princes de ce monde avaient connu la sagesse de Dieu, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la Gloire ».
Alors nous pouvons nous poser la question : est-ce que nous 'connaissons' ne fût-ce qu'un peu de cette 'sagesse de Dieu' ? Est-ce que nous sommes capables de voir dans cet homme livré aux princes insensés de ce monde 'le Seigneur de la Gloire' ? Et est-ce que nous pouvons voir cette gloire sur le visage du Crucifié ?
Mes frères, mes soeurs, telle est bien la question que nous devons nous poser aujourd'hui. Quelle est cette gloire, et comment pouvons-nous la contempler ?
Parce qu'il ne nous est pas donné souvent de contempler le Christ en majesté, comme à Pierre, Jacques et Jean sur le Thabor. Mais pour répondre à cette question nous avons la suite de l'évangile d'aujourd'hui, car elle nous introduit plus avant dans le mystère de Jésus. Après l'éblouissement de la transfiguration et la voix du Père qui invitait les disciples à écouter le Fils bien-aimé, « soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux ». On pourrait entendre cela comme une expression de désenchantement, de déceptions : la vision merveilleuse s'est évanouie. Mais en réalité ce n'est pas triste, parce que, avec Jésus, nous avons tout. Nous n'avons pas tellement besoin de visions. Je crois qu'aujourd'hui nous sommes vraiment appelés à compter sur cette présence discrète et intense de 'Jésus seul', sans tous les titres qu'on lui a donnés par la suite.
Jésus-seul-avec-nous.
Jésus seul suffit.
Regardons donc encore le visage du Christ que représente l'icône de la croix : cette image exprime bien le mystère de Jésus, abandonné de tous, seul, « livré » aux mains des pécheurs, mais « entré librement dans sa passion » : il rayonne la paix, la bienveillance, tout ce qui fait la vraie gloire de Dieu. Et ses bras sont ouverts pour accueillir tous les humains qu'il aime. Je crois que nous devons commencer par regarder ainsi Jésus, tel que les évangélistes nous le dépeignent : Jésus « avec nous dans nos épreuves » (Ps 90) : pas tellement ses miracles, ni même ses paroles, si merveilleuses soient-elles : -- les seuls logia ne nous suffisent pas, -- , mais sa façon de nous révéler le Père, presque à son insu, par sa seule manière d'être 'avec nous', quand il rencontre et accueille ses frères et soeurs, quand il les regarde longuement et les aime. En fréquentant assidûment les évangiles, nous pouvons reconnaître sa vraie gloire, non pas une gloire baroque, comme surajoutée, toujours un peu dérisoire, comme certains peintres ont cru devoir la représenter, mais ce que j'appellerais sa gloire fondamentale, constitutive. Dans la Bible, la 'gloire' signifie précisément le poids, l'intensité de la présence.
Saint Jean l'évangéliste, le 'Théologien', exprime bien notre foi dans un résumé abrupt, à la première page de son évangile : « Le Verbe s'est fait chair et nous avons vu sa gloire ». Sa-gloire-dans-la-chair. Ce n'est pas dans une vision, mais dans sa vie concrète avec nous, homme parmi les hommes, que nous pouvons voir sa gloire. N'est-ce pas là le coeur de notre foi ? Pouvoir dire en vérité, inspirés par l'Esprit : « Jésus est Seigneur » (1 Co 12,3). Jésus de Nazareth est 'le Seigneur de la gloire'. Et l'évangéliste poursuit : « Avec lui nous avons tout reçu, et grâce sur grâce. »
Et cependant il ne suffit pas de discerner la vraie gloire de Jésus, notre Seigneur. Nous sommes aussi appelés à voir, « la gloire de Dieu dans l'homme vivant », -- dans tout homme. (Pour reprendre l'intuition de saint Irénée de Lyon).
Car il nous faut maintenant faire un pas de plus : les mystères de Jésus ne sont pas uniquement à contempler ; nous devons y participer, nous devons les revivre à notre tour, -- à notre mesure. La question précise que l'évangile nous pose est donc : pouvez-vous discerner aujourd'hui la gloire de Dieu dans la personne de Jésus, quand il vient à vous sous les traits du dernier de ses frères et soeurs ?
Cela s'apprend. Pour apprendre à regarder comme Jésus, il faut nous mettre à son école et voir comment il faisait, par exemple sa façon de regarder Zachée perché sur son sycomore : en discernant en ce fonctionnaire pas très scrupuleux un homme qui cherchait Dieu, il lui a permis de se révéler un hôte généreux, et « le salut est venu sur sa maison ». Il y a tant d'autres épisodes dans les évangiles qui nous décrivent la façon qu'avait Jésus de regarder les hommes et les femmes qu'il rencontrait, sa façon d'ainsi les libérer du poids de leur destin, et de leur révéler leur noblesse fondamentale.
L'évangile selon saint Luc précise que cet épisode s'est passé « pendant qu'il priait ». De fait, c'est dans la prière qu'une transfiguration est possible. La prière est même indispensable pour que notre regard puisse à son tour discerner en tout humain cette gloire, cette beauté, souvent cachée. Il nous faut beaucoup prier pour pouvoir porter sur les autres un regard qui libère le meilleur en eux et qui les révèle à eux-mêmes.
Cette démarche de transfiguration est en effet une démarche de foi, car il s'agit de voir en nos soeurs et nos frères l'essentiel qui est invisible aux yeux, de leur révéler ce qui en eux les dépasse infiniment et les rend uniques. Il dépend de nous, pour une part importante, que les personnes que nous rencontrons, ou avec lesquelles nous vivons, découvrent ainsi ce qu'elles sont vraiment. Il y a un regard qui fige notre interlocuteur et l'oblige à jouer un rôle, mais, quand, en l'abordant, nous offrons une paix et une grande bienveillance, puisées dans celles de notre Père céleste, nous constatons souvent que notre interlocuteur en est comme renouvelé, illuminé. Il s'agit d'une toute petite transfiguration, certes, mais nous pouvons y contribuer.
Il y a d'ailleurs toujours une réciprocité dans cette démarche. Nous ne pouvons contribuer à éveiller une lumière chez les autres que parce que nous nous sommes préalablement laissé transformer par une lumière qui nous a été donnée. Et alors, comme le Christ nous le rappelle : « votre lumière doit briller aux yeux des hommes... » car « à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ».
En contemplant encore une fois l'icône de la Transfiguration nous pouvons donc y voir tout un programme. Elle ne décrit pas qu'un évènement ponctuel du passé ou encore un mystère hors du temps ; elle nous invite à découvrir la gloire, c'est-à-dire la présence intime et intense du Christ, en nos frères et soeurs, pour vivre et réaliser avec eux chaque jour comme une nouvelle Transfiguration.
En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux... » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu'il était juste.
Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t'ai fait sortir d'Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l'ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l'autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d'animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d'Égypte jusqu'au Grand Fleuve, l'Euphrate. »
- Parole du Seigneur.
Gn 15, 5-12.17-18
Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ?
Écoute, Seigneur, je t'appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! Mon c?ur m'a redit ta parole : « Cherchez ma face. »
C'est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face. N'écarte pas ton serviteur avec colère : tu restes mon secours.
J'en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants. « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur. »
Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14
Frères, nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d'où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir.
Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j'ai tant d'affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.
- Parole du Seigneur.
Ph 3, 20 - 4, 1
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d'une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s'entretenaient avec lui : c'étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s'accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s'éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu'il disait. Pierre n'avait pas fini de parler, qu'une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu'ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n'y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu'ils avaient vu.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 9, 28b-36