Clerlande
L’ensemble des moines de Clerlande est arrivé de l'Abbaye Saint-André , Bruges , en juin 1971. Le monastère de Clerlande, a été érigé en prieuré conventuel le 25 décembre 1972. Clerlande est tout naturellement un fruit de son temps. Quel fut ce temps, quel fut le terreau où germa le projet de Clerlande ?
Dès le lendemain de la guerre, en 1945, la population du pays a eu un grand besoin de respirer un air de liberté, liberté de penser et de s’exprimer, liberté de mouvements. La ruée vers ce dont elle avait été privée pendant 5 ans : rattraper le temps perdu ! Un certain esprit d’après-guerre s’installe. L’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958, est l’éveil de tous les rêves, grand étalage de tout ce qui est possible, réalisable et à portée de main. L’invasion de la télévision dans toutes les familles réduit les esprits à une culture uniforme et télécommandée. Chez nous en Belgique, en 10 ans, de 1960 à 1970, le parc automobile passe de 2 à 3 millions de véhicules immatriculés. Au cours du même temps, les appareils électroménagers ont augmentés de 27% Ce sont les Golden Sixties.
Le 21 juillet 1969, c’est le premier pas de l’homme sur la lune : Neil Armstrong s’exclame: « Un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour l’humanité ». L’avenir de la science est assuré et miroite aux yeux des plus jeunes! Plus concrètement, par exemple, l‘essor de l’aviation civile permet d’envisager les voyages d’affaires, d’études ou de tourisme à des prix abordables. Voyages qui sont aussi occasions d’échanges, de rencontres et de découvertes d’autres cultures. Miroir aux alouettes ou échanges d’idées et de cultures ?
Jusque là tout avait semblé plus ou moins stable dans les idées et dans les habitudes : solides, consommables, indiscutables, traditionnelles. Arrive mai 68 , explosif, inattendu et tout s’écroule comme un jeu de cartes. Ca commence en milieu universitaire, donc dans un milieu de jeunes appelés à marquer l’avenir de leur empreinte et ça s’étend dans tous les milieux de la société, pas uniquement en Belgique. Travail d’enfantement d’une nouvelle culture. Idées et événements bouillonnent et tourbillonnent comme dans un chaudron. Sous prétexte de démocratie, de participation et de liberté, la contestation de l’autorité se propage. Le bien individuel passe avant le bien commun ! En outre chez nous, opposition francophones néerlandophones.
Août 1969, le festival hippies à Woodstock (U.S.A.): un ras-le-bol où 500.000 jeunes venant des quatre coins du monde, la fleur à la bouche, crient « Faites l’amour et pas la guerre. » et s’en retournent en répandant partout leur bonne nouvelle. Soulèvement contre la société de consommation. Mélange d’utopie et de réalisme. Bien que totalement indépendant de Woodstock, une sensibilité écologique se fait jour : un cours d’écologie est même créé à l’UCL avec le professeur Paul Berthet.
Le concile Vatican 2, 1962 – 1965 : Aggiornamento . « A vin nouveau, outres neuves ». Mise à jour générale de l’Église dans sa pensée comme dans sa manière de communiquer avec le monde extérieur. « Il est temps que l'Eglise renonce à tous les signes extérieurs de triomphalisme ! » : pavé lancé dans la mare dès le début du Concile par mgr. Desmedt, évèque de Bruges. Le mot fit mouche et son empreinte marqua la suite de tout le Concile. Le grand public n’a retenu que quelques signes extérieurs comme l’abandon des tuniques, soutanes et autres habits religieux ; en liturgie, la messe se célèbre face à l’assemblée et la langue vernaculaire remplace le latin, ce qui aura une importance très particulière pour l’abbaye de Saint-André. Est-ce déjà le début d’une société désacralisée ?
Juillet 1967, le Pape Paul VI promulgue l’encyclique « Humane vitae », qui ébranlera profondément les familles chrétiennes et la morale conjugale. Elle marquera aussi le départ de très nombreux chrétiens hors de l’Église. Crise aussi du crédit et de l’autorité de l’Église. Bon nombre de prêtres, de religieux et religieuses renoncent à leurs vœux et se mettent « hors les murs. » La dépénalisation de l’avortement est considérée comme un progrès en vue de la liberté de la femme et de la disposition de son corps. Qu’est-ce qu’un progrès ? C’est aussi le début de la « crise des vocations ».
En ces mêmes années, un vent d’indépendance souffle dans toutes les colonies. Au 30 juin 1960, le Congo est reconnu comme État souverain et indépendant. Troubles de l’indépendance du Katanga : guerre de l’ONU. Près de 100 confrères de Saint-André y sont actifs. Quel sera leur relation avec le nouvel État ? Nécessité de trouver très rapidement une bonne réponse pour leur avenir. Le Père Abbé est conscient de l’urgence. Le Congo n’est plus une terre de mission, il est une jeune Église avec sa hiérarchie propre.
En Belgique, les lois de Gilson créent en 1962 les 3 régions en fixant les frontières linguistiques : ce qui constitue un gros problème, entre autre pour l’abbaye de Saint-André qui doit s’adapter aux exigences de la loi. Difficulté pour certaines personnes ou partis politiques de cohabiter avec des personnes de langues différents.
Suite aux lois linguistiques et du « Wallen buiten ! », l’UCL accepte l’essaimage des candidatures et par la suite le dédoublement de l’ensemble de l’Université dans le Brabant Wallon. À cette époque l’Abbaye de Saint-André reçoit 3 invitations afin de prévoir sa présence en Brabant Wallon : le Vicariat Général du diocèse à Wavre, l’U.C.L. et la ville d’Ottignies.
L’arrivée de Louvain-la-Neuve dans le Brabant Wallon ouvre des perspectives d’avenir et de développement social et cultuel dans la région. En même temps le développement et la généralisation des ordinateurs et de toutes les applications de l’électronique, y compris les moyens de communication, d‘information et échanges d’idées. Des créneaux de possibles activités se profilent à l’horizon.
Et la vie monastique dans tout ça ? À symphonie d’un monde nouveau, cadre de vie nouveau !
Il faut réagir ! Être témoin du sacré dans un monde se désacralisant. Ne pas se laisser dissoudre dans une désacralisation générale. Oser croire en l’avenir de la Vie, oser l’aventure de la foi. Après moult informations et réflexions, l’abbaye de Saint-André décide la fondation de Clerlande à Ottignies.
L’ensemble devra rester modeste, discret, « incognito » même, mais beau : un monastère-maison sans collège, ni atelier lourd ; comportant une petite hôtellerie pour y prévoit un accueil incorporé. Deux maisons : l’une plus modeste pour répondre aux appels et besoins du clergé paroissial des environs et d’une jeunesse de la région qui se cherche un berger. L’autre maison, plus importante, pour y recevoir une communauté plus nombreuse ayant des horizons plus larges et plus variés. La chapelle : trop de turbulences dans les esprits et dans l’air du temps pour imaginer la création d’un lieu sacré. Elle attendra 10 ans ! Elle est belle, un peu retirée à l’écart dans les bois.
L’expression de la liturgie sera elle aussi profondément marquée par la simplicité du bâtiment. Priorité à la présence des frères aux offices liturgiques, et autres réunions ou services de communauté afin de soutenir ainsi un esprit de famille. Et comme le précise Saint Benoît dans sa Règle, « les moines se vêtiront comme les gens de la région. » Donc remplacer la tunique par le Jean’s. L’économie sera assurée parles frères qui veilleront à trouver à l’extérieur un travail à mi-temps avec sécurité sociale.
Engouement pour un nouveau commencement !
Père frédéric Debuyst, promoteur de la construction de Clerlande
Texte : Frère Yves Leclef, 2022.
