Une homélie de fr.
L'histoire d'Élie au premier Livre des Rois a un contenu narratif très riche. Je retiens ici les trois fois où Élie reçoit du pain et fait ainsi l'expérience de sa dépendance.
Élie est un prophète militant qui s'est totalement engagé dans la résistance religieuse et politique au régime du roi Achab. Achab avait épousé Jézabel, une femme cruelle venant de Sidon et qui voulait imposer la religion de son pays en persécutant les fidèles du Dieu d'Israël. Élie a d'abord fermé le ciel, provoquant la sécheresse et la famine, et Dieu lui a ordonné d'aller se cacher près d'un torrent où un corbeau lui apportait du pain et de la viande. Lui qui a commandé au ciel et fermé l'eau doit vivre dans la soumission au pouvoir de Dieu qui prend soin de lui complètement. Il vit seul, dans la dépendance de l'obéissance.
Mais la sécheresse qu'il a déclenchée finit par assécher le torrent. Dieu l'envoie alors au pays de Sidon, le pays de Jézabel, où une pauvre veuve cuira du pain pour lui et pour elle et son fils. Élie devient donc dépendant d'une femme, une païenne, dont il reçoit le pain et l'eau, c'est-à-dire la vie. La dépendance de Dieu est devenue dépendance de l'autre, et d'un autre le plus étranger.
Puis Élie revient au pays, il organise une ordalie, fait revenir la pluie, et massacre les prophètes de Baal. Il agit comme un « fou de de Dieu ». Jézabel jure alors sa perte et il doit s'enfuir à nouveau, mais cette fois il déprime. Lui qui aime à dire: « Moi seul, j'ai résisté » reconnaît alors qu'il n'est pas le meilleur: « Je ne suis pas meilleur que mes pères! » Il est dépité de lui-même dans sa fuite devant une femme et il veut mourir. Un ange lui offre alors un bon pain chaud et de l'eau. Notez la progression: un corbeau, une femme, un ange- Un pain de réconfort pour reprendre la route et rencontrer la douceur de Dieu sur la montagne.
C'est donc en recevant du pain à chaque étape de son engagement que le prophète apprend la dépendance de l'obéissance. Recevoir le pain, c'est se recevoir soi-même de Dieu et des autres, dépendre de la bienveillance, se laisser conduire dans la douceur.
Au chapitre 6 de l'évangile de Jean, Jésus distribue le pain, mais il l'a d'abord reçu, sans doute d'un petit vendeur ambulant. Puis il a expliqué à la foule qu'il voulait s'offrir lui-même comme un pain: 'Je suis le pain vivant descendu du ciel. Qui mange de ce pain vivra éternellement. »
Notre difficulté à comprendre ces paroles n'est pas la même que celle des auditeurs de Capharnaüm. Le pain n'est plus aussi essentiel pour nous. Nous savons que d'autres, parfois tout près de nous, connaissent la faim. Mais la plupart d'entre nous, quand nous disons: 'J'ai faim », cela signifie: « je vais manger d'un bon appétit ». Il nous arrive même d'être difficiles et exigeants, ce qui est propre à ceux qui vivent dans l'aisance et l'abondance. Comment Jésus peut-il dire: « Je suis le pain » à ceux qui ont le ventre plein? La faim spirituelle ne va pas sans une sobriété matérielle, sans inscrire le manque dans notre expérience quotidienne.
Mais heureusement nous n'avons pas perdu le goût du pain. Nous aimons le bon pain, même si nous le mangeons rarement sec, pour le plaisir de le savourer. Nous disons bien de quelqu'un qu'il est bon comme du bon pain. Nous pouvons alors comprendre qu'en écoutant et en méditant l'évangile, nous savourons un pain de réconfort et de douceur. Nous pouvons dire au Christ: « Je mange tes paroles et je les savoure. Elles fortifient ma vie et répandent l'amitié de Dieu dans ma chair. Oui, tu es mon pain, un pain qui donne la vie. »
Les auditeurs de Jésus n'ont pas retenu qu'il était du pain, mais qu'il disait être descendu du ciel, et ils se sont mis à murmurer, comme leurs pères au désert: il n'est pas descendu du ciel, on sait très bien d'où il vient. C'est toujours la difficulté de ceux qui sont rivés à la singularité historique de l'homme Jésus de Nazareth dans sa famille et son milieu, et qui s'enferment ainsi dans sa contingence humaine.Le débat sur le Jésus historique et le Christ de la foi est toujours actuel. C'est justement tout l'enjeu de la foi chrétienne. Dans cet évangile, Jésus sait bien, et il le dit, que pour reconnaître son lien intime avec Dieu son Père, il faut se laisser conduire par Dieu lui-même, se laisser attirer par lui, et c'est très mystérieux: « Personne ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire vers moi. » Jésus est devant le mystère de la rencontre entre l'action de Dieu et la liberté de chacun. Beaucoup sont partis après le discours de Jésus. Ceux qui sont restés ont continué à marcher avec lui au prix et à la mesure de leur foi: « Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Nous pouvons être comme Élie découragés et même dépités de nous-mêmes. Nous pouvons aussi être confrontés, comme le Christ, à l'incrédulité, au murmure, et parfois en nous-mêmes. Nous avons besoin de force pour continuer à marcher, d'amitié pour tenir, de promesse de vie, la vie même de Dieu. Le Christ est notre pain, un pain de vie, un pain pour la vie. Celui qui mange ce pain peut vivre. Mais celui qui en mange est aussi appelé à s'offrir lui-même comme un pain pour apaiser et réconforter, un bon pain pour aimer la vie et marcher.