Une homélie de fr. Pierre de Béthune
La Pentecôte inaugure en effet l'universalisme évangélique : « Tous, juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés dans l'unique Esprit pour former un seul corps. » Il s'agit là d'une des caractéristiques les plus nettes de l'évangile, en opposition à l'exclusivisme de nombreux juifs de cette époque. Mais l'universalisme n'est pas le cosmopolitisme. Le cosmopolitisme est l'illusion de l'unité, parce qu'il invite à être tous semblables, à manger les mêmes pizzas, à avoir la même musique, la même mode, les mêmes besoins, et surtout à se croire partout chez soi.
Non ! tous ceux que rassemble l'Esprit de Jésus gardent leur personnalité. L'Esprit n'est pas venu nous apprendre l'esperanto ; chacun l'entend dans sa langue... Parce que la source de l'unité qu'il apporte n'est pas une uniformité, mais un accueil, un don mutuel, sans calcul. L'Esprit que nous célébrons aujourd'hui est celui qui suscite en chacun une même volonté d'accueil. Et c'est en cela qu'il se donne, sans mesure, à chacun tel qu'il est. Il ne nous formate pas selon le modèle idéal, mais il nous permet de développer pleinement celui que nous sommes vraiment, dans notre environnement.
Oui, mes soeurs, mes frères, en ce moment où nous nous réunissons pour célébrer le Seigneur, il est bon de nous accueillir les uns les autres, plus consciemment, plus délibérément encore, en prenant à coeur chacun de ceux qui sont ici rassemblés, et plus largement tous ceux qui prient avec nous en ce moment. Plus largement encore, pour être en communion avec l'Esprit de Jésus, nous ne pouvons plus prier sans réaliser notre 'interdépendance dans la vulnérabilité' avec tant de personnes touchées par la pandémie, — et sans voir ensuite comment vivre et partager désormais en conséquence.
La grâce d'une ouverture plus large encore et d'une solidarité plus effective est le premier don de l'Esprit que nous appelons sur nous à la Pentecôte. L'évangile choisi pour cette fête nous révèle encore un autre don, une autre dimension de la vie selon l'évangile, qui lui est complémentaire : l'enracinement en profondeur, sans lequel nos engagements pour la justice et la paix risquent toujours d'être emportés par la première tornade ou par l'usure du temps.
En ce jour de Pentecôte, cinquante jours après Pâques, l'évangile nous ramène le soir de ce premier jour et nous raconte comment le Seigneur Jésus a déjà donné son Esprit aux apôtres ce jour-là. Et, pour bien le comprendre, il faut même remonter un peu plus haut dans le temps. C'est sur la croix, en mourant, que Jésus a « remis son esprit ». Il nous a « aimé jusqu'à l'extrême » notait déjà l'évangéliste en racontant le dernier repas avec ses disciples. En mourant, il nous donnait, nous transmettait, cet amour extrême. Notre icône illustre très bien cela : on y voit le Christ en croix, le côté transpercé, dont jaillit son amour extrême, sous la forme de la colombe de l'Esprit, et qui vient se poser sur Marie, figure de l'Église et donc sur chacun de nous. En soufflant sur ses disciples, le soir de Pâques, comme nous l'avons entendu dans l'évangile, c'est bien ce souffle, cet Esprit de paix, de pardon, d'amour extrême qu'il nous transmettait. Saint Paul exprime cela à sa façon : « L'amour de Dieu a été répandu (versé) dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné ».
Mes frères, mes soeurs, laissons résonner en nous cet appel que Jésus adresse aujourd'hui à chacun de nous : « Recevez l'Esprit Saint ! » Oui ! Accueillons ce don, faisons de la place en nous pour ce don de l'Esprit d'amour extrême. Au psaume 19, il est dit que Dieu « te donne à la mesure de ton coeur ». Il donne sans mesure, mais la mesure de notre coeur n'est hélas pas très considérable. Beaucoup de grâces se perdent ; nous négligeons beaucoup de belles occasions d'aimer. Ce n'est souvent qu'après que nous devons reconnaitre l'étroitesse de notre coeur.
C'est pourquoi nous demandons à l'Esprit de Pentecôte de dilater notre coeur. Il peut gagner en largeur, comme je disais en commençant, en universalisme, par un accueil plus généreux. Mais nous devons aussi veiller à la profondeur de notre coeur et à sa capacité d'accueil. « Préparons donc nos coeurs et nos corps », comme le demande saint Benoît, pour que cet amour qui nous est proposé puisse y être toujours mieux reçu et développé. Il nous faut pour cela plus de silence et de prière. Nous le savons bien. Ce temps de confinement a pu nous y aider. Nous faisons alors l'expérience que, même quand nous sommes vieux, nos coeurs peuvent devenir toujours plus neufs, toujours plus des 'coeurs de chair', capables de vibrer aux vraies joies et aux grandes souffrances.
Au cours de cette eucharistie nous appelons l'Esprit sur les dons que nous allons apporter, le pain et le vin. Comme vous le savez, dans la prière eucharistique, il y a toujours une prière d''épiclèse', une invocation de l'Esprit sur les dons. Le célébrant dit : « Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ». Il ne sanctifie et ne consacre pas seulement le pain et le vin, mais aussi tout don que nous faisons de nous-mêmes. Oui, grâce à l'Esprit nous sommes ainsi associés à l'amour extrême de Jésus, à sa présence réelle. Grâce à lui, toute notre vie est une eucharistie, une offrande agréable à Dieu, pour le salut du monde. Alléluia !
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu'on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent remplis d'Esprit Saint : ils se mirent à parler en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d'eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l'émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d'Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
- Parole du Seigneur.
Ac 2, 1-11
Bénis le Seigneur, ô mon âme ; Seigneur mon Dieu, tu es si grand ! Quelle profusion dans tes ?uvres, Seigneur ! la terre s'emplit de tes biens.
Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre.
Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses ?uvres ! Que mon poème lui soit agréable ; moi, je me réjouis dans le Seigneur.
Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34
Frères, personne n'est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l'Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c'est le même Esprit. Les services sont variés, mais c'est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c'est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l'Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu'un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C'est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
- Parole du Seigneur.
1 Co 12, 3b-7.12-13
Au jour solennel où se terminait la fête des Tentes, Jésus, debout, s'écria : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l'Écriture : De son c?ur couleront des fleuves d'eau vive. » En disant cela, il parlait de l'Esprit Saint qu'allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. En effet, il ne pouvait y avoir l'Esprit puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Jn 7, 37-39