Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Nous voici arrivés au coeur de la fête de Noël. Toutes les préparations ont convergé vers ce moment de grâce. À Noël la fleur du rameau de Jessé s'est épanouie : c'était l'aboutissement de toute l'histoire de l'humanité. Sa venue était prévue et préparée depuis des siècles. Les prophètes d'Israël, les sages des Nations l'avaient annoncé, sur la terre tout semblait prévu pour l'accueillir.
Et cependant, si nous lisons attentivement les évangiles de l'enfance, nous devons reconnaître qu'il y est aussi partout question d'imprévus : l'annonce à Marie était tout à fait insolite et l'a bouleversée, les nouvelles de sa vieille cousine étaient étonnantes, et puis, contre toute attente, Joseph a quand même accepté de la prendre chez lui. Quand enfin approchait le moment où elle devait mettre au monde son enfant, un ukase imprévu les a obligés à se mettre en route vers Bethléhem. ( )Et là, ils ne trouvent aucun logement pour les accueillir. Puis arrivent des mages d'on ne sait où. Finalement, il a fallu fuir jusqu'en Égypte, pour échapper au massacre des innocents. Bien sûr, comme l'ange l'a rappelé à Marie, « rien n'est impossible à Dieu », mais précisément : il n'a rien fait pour épargner toutes ces contrariétés à ceux qu'il avait choisi. Dieu n'est pas celui qui escamote les difficultés, — même si c'est souvent pour cela que nous le prions. — Il ne faut en tout cas pas passer sous silence ces imprévus et ces contrariétés que relatent les évangiles, au prétexte de ne pas troubler le climat de fête. Ce ne sont pas des trait anecdotiques, négligeables ; ces situations imprévisibles font partie du mystère de Noël parce qu'elles font partie de la condition humaine, et Dieu est venu pour assumer toute notre humanité.
Or, mes frères, mes soeurs, cette année 2020 est celle qui a connu un maximum d'imprévus. Qui pouvait imaginer, il y a un an, toutes les contrariétés qu'elle nous réserverait ? Il me semble donc que nous sommes particulièrement invités à méditer aujourd'hui cet aspect un peu insolite des évangiles de l'enfance de Jésus, ou au moins à partir de là pour approcher le coeur du mystère.
Il ne s'agit donc pas de spéculer sur la condition humaine et sur les aléas de notre avenir, de l'année 2021, nous voulons méditer et célébrer le mystère de Jésus à Noël, mais sans oublier le contexte tout à fait particulier du Noël de cette année, ni les responsabilités qui nous incombent.
Qu'est-ce que Dieu attend de nous en ces circonstances ? Y a-t-il une réponse à cette question dans l'évangile, dans l'évangile d'aujourd'hui ?
Effectivement, en cette nuit de la Nativité, les anges nous ont révélé le coeur de notre Dieu et Père : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix aux hommes qu'il aime ». On traduisait jadis du latin : 'paix aux hommes de bonne volonté', mais il s'agit bien de la bonne volonté du Père, de Sa 'bienveillance', de Son amour pour tous les humains. Ce mot 'bienveillance' est devenu faible dans notre usage, mais, rappelons-nous, il est celui que Jésus utilise quand il parle de son Père : « Oui, Père, c'est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance- » Et aujourd'hui, cette nuit surtout, il nous révélé que la volonté du Père est la paix, « la paix pour tous les hommes qu'il aime ». C'est la paix au sens large du mot shalôm, l'harmonie entre tous les hommes et avec la nature. S'il a voulu être parmi nous, Emmanuel, 'Dieu avec nous', c'est pour nous apporter cette grande paix.
Mais cette paix ne tombe pas du ciel avec le chant des anges. Elle ne se réalise pas sans nous ! Nous sommes appelés à être nous-mêmes les artisans de cette paix : heureux artisans de paix, appelés fils de Dieu, comme son propre Fils, le 'Prince de la paix'. C'est lui, Jésus, qui désormais nous montre la manière de bâtir la paix.
Restons concrets. Ici, en ce moment, dans notre très petite assemblée de frères et amis, — et même plus largement, parmi tous ceux qui participent à notre célébration par internet, — l'appel à la paix de Noël qui retentit ne doit pas nécessairement affronter de dangereuses oppositions, comme Jésus, ou tant d'autres artisans de paix, aujourd'hui dans notre monde en souffrance. Mais nous ne sommes pas pour autant dispensés d'encore et encore « chercher la paix et la poursuivre », comme saint Benoît nous le demande, parce qu'elle n'est pas acquise. Il faut y travailler !
Pour apporter plus de paix parmi nous, la première chose à faire, me semble-t-il, est de bien prendre en compte la réalité, et d'identifier les incertitudes, les risques, les contradictions et les oppositions que nous devons affronter. Nous aurions tendance à passer sous silence ce qui semble nuire à l'harmonie, surtout en ces jours de fête. On parle de la 'trêve de Noël'. Mais nous savons bien que la vraie paix n'est pas une parenthèse. Je dirais même que l'accueil délibéré, des imprévus et des contrariétés, est le terreau d'une vraie harmonie. La façon d'aborder les questions qui fâchent est décisive. C'est là que la bienveillance active doit être à l'oeuvre, pour bâtir la paix. Il ne faut donc pas essayer d'oublier ou d'escamoter les obstacles, ni d'ailleurs les laisser nous déstabiliser, mais plutôt prier pour trouver le bon usage des contrariétés et des maladies, et pour peut-être y découvrir des opportunités. Alors, quelquefois, comme disait une amie, les impasses peuvent devenir des creusets. Encore une fois, il ne faut pas masquer les erreurs et les fautes, les nôtres et celles de nos frères et soeurs, mais s'engager humblement et patiemment sur un chemin de pardon et de réconciliation lucide. Enfin, il ne faut pas non plus rêver trop vite à un avenir où tout sera bien, comme avant, et où nous pourrions enfin oublier les contraintes de ces jours de confinement.
Car c'est ici et maintenant, en accueillant les limitations, les faiblesses et la vulnérabilité que Dieu nous rejoint. Précisément : il nous rejoint. Nous n'avons pas à aller le chercher au loin pour trouver de l'aide. Il est venu lui-même chez nous comme un enfant vulnérable et absolument dépendant de notre aide. Il est avec nous dans nos épreuves. C'est bien ainsi qu'il s'est révélé. Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons le rencontrer et collaborer à son projet de « paix pour tous les hommes qu'il aime ». En faisant cette démarche, nous sommes bien dans sa manière de faire, parce que, comme le dit saint Paul, « c'est quand je suis faible que je suis fort ».
Voilà, mes soeurs, mes frères, la bonne façon de célébrer Dieu à Noël : par nos chants, bien sûr, par notre prière unanime et le partage du pain, — mais pas uniquement, parce que nous retenons de cette célébration le goût de la vraie paix et le désir d'offrir toujours davantage notre collaboration, modeste mais précieuse, à la vie du monde, comme des artisans de paix, là où nous sommes.
Le roi David habitait enfin dans sa maison. Le Seigneur lui avait accordé la tranquillité en le délivrant de tous les ennemis qui l'entouraient. Le roi dit alors au prophète Nathan : « Regarde ! J'habite dans une maison de cèdre, et l'arche de Dieu habite sous un abri de toile ! » Nathan répondit au roi : « Tout ce que tu as l'intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi. » Mais, cette nuit-là, la parole du Seigneur fut adressée à Nathan : « Va dire à mon serviteur David : Ainsi parle le Seigneur : Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j'y habite ? C'est moi qui t'ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. J'ai été avec toi partout où tu es allé, j'ai abattu devant toi tous tes ennemis. Je t'ai fait un nom aussi grand que celui des plus grands de la terre. Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël, je l'y planterai, il s'y établira et ne tremblera plus, et les méchants ne viendront plus l'humilier, comme ils l'ont fait autrefois, depuis le jour où j'ai institué des juges pour conduire mon peuple Israël. Oui, je t'ai accordé la tranquillité en te délivrant de tous tes ennemis.
Le Seigneur t'annonce qu'il te fera lui-même une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. »
- Parole du Seigneur.
2 S 7, 1-5.8b-12.14a.16
L'amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l'annonce d'âge en âge. Je le dis : C'est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux.
« Avec mon élu, j'ai fait une alliance, j'ai juré à David, mon serviteur : J'établirai ta dynastie pour toujours, je te bâtis un trône pour la suite des âges.
« Il me dira : Tu es mon Père, mon Dieu, mon roc et mon salut ! Sans fin je lui garderai mon amour, mon alliance avec lui sera fidèle. »
88 (89), 2-3, 4-5, 27.29
En ce temps-là, à la naissance de Jean Baptiste, Zacharie, son père, fut rempli d'Esprit Saint et prononça ces paroles prophétiques : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, qui visite et rachète son peuple. Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David, son serviteur, comme il l'avait dit par la bouche des saints, par ses prophètes, depuis les temps anciens : salut qui nous arrache à l'ennemi, à la main de tous nos oppresseurs, amour qu'il montre envers nos pères, mémoire de son alliance sainte ; serment juré à notre père Abraham de nous rendre sans crainte, afin que, délivrés de la main des ennemis, nous le servions dans la justice et la sainteté, en sa présence, tout au long de nos jours.
Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins, pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, grâce à la tendresse, à l'amour de notre Dieu, quand nous visite l'astre d'en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l'ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 1, 67-79