Une homélie de fr. Pierre de Béthune
IN ALBIS 2022
Aujourd'hui nous concluons la grande journée de Pâques, 'ce jour que fit le Seigneur, jour de fête et de joie', et qui dure sept et même huit jours. Mais les lectures sont déjà tournées vers l'avenir, pour nous inviter à vivre le mystère pascal pendant tout ce temps pascal. Elles nous montrent comment 'vivre en ressuscités' avec le Christ. C'est surtout cet évangile, le chapitre 20 de l'évangile de Jean, qui nous révèle comment nous disposer à recevoir l'Esprit de Jésus. Parce que nous sommes désormais engagés dans une autre étape, de cinquante jours cette fois, pour aboutir à la Pentecôte qui nous initiera à vivre la présence de l'Esprit du Seigneur Jésus dans notre vie quotidienne.
Mais voyons comment, au cours de ce chapitre, Jésus se présente à ses disciples, - et à nous. Il survient au milieu des apôtres désemparés et apeurés, et il leur dit : « La paix soit avec vous ! Après ces paroles, il leur montra ses mains et son côté ». Par trois fois, dans cet évangile, Jésus nous donne sa paix. Cette paix n'est pas la sérénité de celui qui a échappé à toute contradiction et toute malchance. La paix qu'il nous donne vient de ses blessures. C'est ce que prévoyait déjà le prophète : « Par ses blessures, nous sommes guéris ». Il a connu cette paix très particulière quand il a tout donné, tout accompli, sur la croix, et a remis l'esprit. C'est pourquoi, ressuscité, il garde les marques, les stigmates de la Passion ; elles caractérisent tout son message. D'ailleurs c'est à la 'fraction du pain' que les disciples l'ont reconnu, à la façon dont il se donnait en partage, comme un pain brisé, offert à tous. Et c'est ainsi que nous faisons quand nous nous réunissons à sa mémoire.
Nous devrions souvent méditer sur ces plaies, ces blessures du Christ glorieux, non pas par dolorisme, mais pour ne pas nous méprendre sur ce qu'est la paix et la joie de l'évangile. Aussi, pour être, à notre tour, des artisans de paix, il nous faut commencer par assumer nos souffrances, nos blessures, celles que nous avons fait et celles qu'on nous a faites. La paix véritable est au-delà de tout oubli et de toute anesthésie. Elle est même souvent au bout d'un passage à travers beaucoup de contradictions, car elle suppose déjà une réconciliation, un pardon, comme Jésus le demande à ses disciples, et comme il a lui-même commencé par pardonner à ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Oui, ces deux démarches pascales vont ensemble : pas de paix véritable tant qu'on ne met pas le prix pour une réconciliation humble et sincère, d'abord avec nous-mêmes, et puis avec tous. Mais cela dépasse souvent nos forces et nous ne devons pas hésiter à appeler alors sur nous l'Esprit de Jésus ressuscité.
La suite de l'évangile nous mène « huit jours plus tard » et précise ce que l'Esprit nous donne à la Pentecôte, pour suivre le Christ et devenir témoins de sa paix. Il précise en effet que cette paix nous vient fondamentalement de la foi. Jésus en parlait déjà dans son discours d'adieu : « Que votre cœur ne se trouble pas (qu'il trouve la paix) : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ! »
L'intervention de Thomas que l'évangéliste rapporte ici permet de préciser ce qu'est la foi que Jésus nous propose. Notez qu'ici encore, il est question de plaies, de blessures. La première caractéristique de la foi est en effet qu'elle ne peut pas se vivre en dehors de notre monde de souffrance. Le recours à la foi ne peut en aucune façon être une manière d'échapper à cette réalité.
Mais cette anecdote nous rappelle d'abord que la foi n'est pas une crédulité. En ce sens l'apôtre Thomas est le patron de tous ceux qui ne veulent pas en rester à une foi de charbonnier. Il est vrai que, dans les Écritures, la foi est souvent liée, et même dépendante d'une expérience de miracle. On lit souvent dans les évangiles : « en voyant comment l'homme avait été guéri, beaucoup crurent en lui ». Mais cette foi doit évidemment encore grandir, parce que la vraie foi est plus exigeante. Elle n'évacue pas les exigences et les questions de la science, de l'histoire ou de la psychologie, comme on pouvait le faire au Moyen-Âge. Aujourd'hui, il est nécessaire d'accueillir honnêtement tous les questionnements. Jadis, comme le savoir était limité en tant de domaines, il fallait beaucoup de foi, mais c'était une croyance que j'appellerais supplétive ou palliative. Actuellement, nos connaissances sont beaucoup plus complètes et fiables, et nous faisons bien d'exiger beaucoup de rigueur dans nos connaissances, en tous les domaines, y compris en théologie. La foi ne peut jamais être reçue au prix d'une ignorance, et surtout pas au prix d'une ignorance voulue. Nous nous reconnaissons donc volontiers en saint Thomas qui ne veut pas croire trop vite à tout ce qu'on nous raconte.
Mais la foi de Thomas devait encore grandir, car son exigence de toucher les plaies de Jésus était encore dans le registre de la crédulité. Aussi l'histoire nous dit qu'il a finalement cru, sans mettre la main dans le côté de Jésus. La seule présence de Jésus lui a fait s'écrier : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Venons-en donc au dernier mot de l'évangile, la dernière parole de Jésus dans l'évangile selon saint Jean : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! » Les versets qui suivent ne sont qu'une ajoute, et même tout le chapitre ajouté après. Accueillons donc résolument ce dernier mot, cette dernière béatitude. La joie de croire sans avoir vu.
L'évangile nous propose une foi libérée de toute crédulité, de toute dépendance et obligation. Il ne faut pas attendre d'être convaincu pour s'y engager. Et cependant c'est aussi une foi reçue : nous ne l'avons pas trouvée ou inventée par nos seules forces. Nous l'accueillons, dans la prière, la confiance et une grande ouverture du cœur, parce que nous sommes portés par nos frères et sœurs, par toute une tradition et les exemples de tant de témoins. Alors seulement nous pouvons aussi donner notre foi et même la risquer. La foi véritable est toujours reçue, mais elle n'est finalement vivante que donnée.
Concrètement donc, il ne faut pas attendre d'avoir tout à fait compris la beauté de l'évangile pour s'y engager. Il ne faut pas avoir vu et compris combien Dieu est grand, pour l'adorer ; au contraire : commencer par adorer pour pouvoir croire et dire devant Jésus : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Car il ne s'agit pas tellement d'adhérer à des vérités, mais de nous attacher à une personne, le Christ, notre 'Bien-aimé frère et Seigneur Jésus', comme Charles de Foucauld aimait l'appeler. En définitive, nous pouvons dire que, pour nous, chrétiens, la foi est simplement la conscience vive de la présence du Christ, toujours vivant parmi nous, une conscience transmise par des témoins portés par l'Esprit Saint qui, tout au long de l'histoire, nous ont transmis ce feu d'une présence qui transfigure. Et cette présence ne se réalise pas seulement dans la contemplation, mais surtout quand, en toute notre vie, nous faisons comme il aurait fait, à notre place. Nous le faisons en toute confiance, parce qu'il a dit, comme saint Matthieu nous le rappelle : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps ».
Nous aussi, durant ces jours, nous attendons patiemment dans la foi et la prière la venue plus plénière de l'Esprit à la Pentecôte, la présence de l'Esprit de Jésus parmi nous et en nous. Sans l'avoir vu nous l'aimons et nous exultons de joie quand nous le prions, et surtout quand nous refaisons les gestes qui nous le révèlent. Gestes de paix, de partage et d'action de grâce à Dieu notre Père.
À Jérusalem, par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple. Tous les croyants, d'un même c?ur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d'autre n'osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d'hommes et de femmes, en devenant croyants, s'attachaient au Seigneur. On allait jusqu'à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des civières et des brancards : ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l'un ou l'autre. La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs. Et tous étaient guéris.
- Parole du Seigneur.
Ac 5, 12-16
Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! Oui, que le dise la maison d'Aaron : Éternel est son amour ! Qu'ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur : Éternel est son amour !
La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle : c'est là l'?uvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu'il soit pour nous jour de fête et de joie !
Donne, Seigneur, donne le salut ! Donne, Seigneur, donne la victoire ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! De la maison du Seigneur, nous vous bénissons ! Dieu, le Seigneur, nous illumine.
Ps 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27a
Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvai dans l'île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voix forte, pareille au son d'une trompette. Elle disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. »
Je me retournai pour regarder quelle était cette voix qui me parlait. M'étant retourné, j'ai vu sept chandeliers d'or, et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d'homme, revêtu d'une longue tunique, une ceinture d'or à hauteur de poitrine. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j'étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. »
- Parole du Seigneur.
Ap 1, 9-11a.12-13.17-19
C'était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d'eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l'un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c'est-à-dire Jumeau), n'était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d'eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d'être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d'autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant, vous ayez la vie en son nom.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Jn 20, 19-31