Une homélie de fr. Pierre de Béthune
LE RÈGNE DE DIEU EST TOUT PROCHE
14ème dimanche C (2022) Luc 10, 1-9
Dimanche passé nous avons entendu Jésus nous dire : « Suis-moi ! », et il appelait ses disciples à rester avec lui, partout où il irait, - et puis, aujourd'hui, à la page suivante de l'évangile de Luc, il nous dit : « Allez ! », il envoie ses disciples au loin. Comment mettre ensemble ces deux appels ?
Il nous faut réfléchir en ce dimanche à cette apparente contradiction. Et voir comment vivre concrètement cette façon de suivre Jésus, pas seulement en marchant dans ses pas, mais en allant au loin pour annoncer le Règne de Dieu, sans jamais être pour autant séparés de lui. La suite de l'évangile nous explique comment.
Il nous faut d'abord noter qu'ici cet envoi en mission est adressé non plus aux douze apôtres, mais à soixante-douze disciples, c'est à dire à tous. Soixante-douze est le chiffre qui, dans la Genèse, désigne toutes les nations de la terre. Nous sommes donc tous envoyés, aujourd'hui encore, pour annoncer que le Règne de Dieu vient. Il n'y a donc pas que les spécialistes de l'évangélisation, les missionnaires, les prédicateurs, les catéchistes. Il n'y a pas deux catégories de baptisés, ceux qui enseignent et ceux qui sont enseignés ! Non ! Parce que 'annoncer le Royaume' ne consiste pas à transmettre un message, mais, grâce à l'évangile vécu, à rayonner d'une vie plus belle et plus intense.
Et pour cela, il ne faut pas tellement parler, mais il faut toujours écouter. C'est ce que nous explique la suite de l'évangile. En effet, quand Jésus envoie ses disciples au loin, il ne dit pas tout ce qu'ils doivent annoncer, comme on pourrait s'y attendre, mais il explique comment ils doivent aller : démunis : « N'emportez ni argent, ni sac ni sandales... Restez dans la maison où l'on vous accueille, mangeant et buvant ce que l'on vous servira... ». Dans ses recommandations aux douze apôtres quelques temps auparavant, dans le même évangile selon saint Luc, Jésus avait encore été plus clair : « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni pain, ni argent ; n'ayez pas non plus chacun deux tuniques. En quelque maison que vous entriez, demeurez-y, et que votre départ se fasse de là ». (Luc 9, 3-4) Pourquoi ces indications détaillées sur l'équipement des envoyés, ou plutôt sur leur manque d'équipement ? Les commentateurs de ce texte ont généralement expliqué que ces précisions concrètes indiquaient un esprit : ceux que Jésus envoie doivent être détachés de biens de ce monde. Mais il est évident que la façon de faire que Jésus a proposée vise bien concrètement à les rendre non pas tellement détachés, mais dépendants du bon vouloir de ceux qui les accueillent. Toutes ces précisions sur la façon d'aller sont en effet destinées à mettre les envoyés dans une situation où ils ne peuvent pas survivre plus d'une journée et où ils sont donc obligés de demander l'hospitalité.
Or c'est précisément ainsi que vivait Jésus. Nous l'avons entendu dimanche passé. « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête' » Après avoir quitté sa bonne maison de Nazareth, et durant toutes ces années où il parcourait la Galilée, la Samarie et la Judée, il demandait partout l'hospitalité, chez Simon Pierre, chez Lévi, Marthe et Marie, ou encore Zachée. Et, en route, il comptait encore sur la bonté des habitants : à la Samaritaine qui venait puiser l'eau au du puits, il demandait : « Donne-moi à boire ! ». Pour lui aussi, l'hospitalité est le lieu privilégié de l'évangélisation.
En tout cas nous voyons que pour répondre à l'appel de Jésus « Suis-moi ! », il faut marcher avec lui, et surtout comme lui, c'est à dire en s'adressant aux autres comme des demandeurs, ainsi que le propose le texte d'évangile d'aujourd'hui, et non pas d'abord comme des bienfaiteurs qui possèdent la vérité. Saint Paul rapporte quelque part une parole de Jésus que les évangiles n'ont d'ailleurs pas retenue : « Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir ». Et c'est vrai ; nous en faisons aussi l'expérience. Mais lors d'une première rencontre, il faut savoir qu'y a plus d'urgence à recevoir qu'à donner.
Bien sûr, nous ne sommes plus dans le contexte de la Palestine au temps de Jésus, et, pour annoncer l'évangile, il ne nous faut pas nous présenter matériellement démunis, comme des demandeurs d'asile. Mais, aujourd'hui, comme jadis, pour témoigner de l'Évangile, ainsi que Jésus nous le demande, il importe en tout cas d'assurer la réciprocité dans la rencontre. Si nous arrivons avec nos certitudes et toutes nos bonnes réponses aux questions de l'humanité, le trésor de l'Évangile ne pourra qu'encombrer ceux que nous rencontrons. C'est pourquoi Jésus nous explique aujourd'hui qu'il nous faut au contraire commencer par accueillir respectueusement les expériences et les convictions de nos contemporains, tout ce qu'on peut recevoir de nos hôtes, avant d'annoncer le message de l'Évangile. Jésus précise : « Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu'on vous offrira ». Manger la nourriture, les vivres de nos hôtes, et pas seulement leur pitance, mais aussi leurs raisons de vivre, oui, recevoir et apprécier ce qui est important pour eux. Avant de parler des choses de Dieu, il faut avoir longuement écouté nos interlocuteurs et reçu leurs questions. En effet, si vous me permettez un jeu de mots, pour pouvoir « rendre compte de l'espérance qui est en nous », comme le demande l'apôtre Pierre dans sa première épître, il nous faut d'abord 'prendre en compte' l'espoir de ceux que nous rencontrons. Alors seulement il nous sera possible de dire, à notre tour, nos raisons de vivre et d'annoncer que « le Règne de Dieu est tout proche ».
D'ailleurs, il ne faut pas nécessairement le dire explicitement. Il y a une façon d'écouter, d'assurer une présence attentionnée, qui annonce déjà clairement l'Évangile, sans paroles. Aussi cette façon 'évangélique' d'écouter et de dialoguer qui peut caractériser notre vie ordinaire ne doit pas nécessairement consister à parler explicitement de l'évangile. Mais c'est un style de vie, une façon de vivre ensemble dans une vraie réciprocité où chacun est tour à tour l'hôte et son invité, celui qui donne celui qui reçoit.
Alors, comme Jésus nous le demande, en entrant dans une maison, en abordant un frère, une sœur, nous pourrons apporter « la paix à cette maison ». C'est pour cela que nous sommes tous envoyés, comme des messagers de la paix, et cela est à la portée de tous. Nous nous contentons trop souvent d'une cœxistence pacifique, sans beaucoup d'attention mutuelle. Or ce qui caractérise ceux qui vivent de l'Esprit du Christ, comme on le voit au livrer ders Actes de Apôtres, est précisément cette unanimité : « ils n'avaient qu'un seul cœur et une seule âme. ». Nous nous sommes rassemblés ici dans cette chapelle pour être proches du Seigneur dans la prière, mais c'est aussi pour y puiser la force pour porter la paix dans toutes les maisons où nous allons retourner tout à l'heure.
Oui, que la paix du Seigneur soit toujours avec nous !
Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l'aimez ! Avec elle, soyez pleins d'allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l'abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre c?ur sera dans l'allégresse ; et vos os revivront comme l'herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
- Parole du Seigneur.
Is 66, 10-14c
Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec. De là, cette joie qu'il nous donne. Il règne à jamais par sa puissance.
Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : je vous dirai ce qu'il a fait pour mon âme ; Béni soit Dieu qui n'a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour !
Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20
Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n'est pas d'être circoncis ou incirconcis, c'est d'être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l'Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.
- Parole du Seigneur.
Ga 6, 14-18
En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d'abord : ?Paix à cette maison.' S'il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l'on vous sert ; car l'ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s'y trouvent et dites-leur : ?Le règne de Dieu s'est approché de vous.' »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 10, 1-9