Une homélie de fr. Pierre de Béthune
On ne parle plus beaucoup de la résurrection des morts aujourd'hui. Et pourtant, il en est bien question dans l'Évangile, et pas seulement dans le texte que nous avons entendu aujourd'hui. Je vais donc m'efforcer d'en parler un peu, parce que, comme vous, je suppose, cette occultation d'une partie de notre profession de foi, pose problème. Je vais essayer de voir dans quelle mesure la 'résurrection de la chair et la vie éternelle' que nous proclamons dans le credo, concernent le cœur de l'Évangile, et dans quelle mesure cette croyance concerne notre propre cœur, la pratique quotidienne de notre foi au Christ. Je vous livre donc avec une humble confiance, l'état actuel de mes réflexions. Il s'agira plutôt d'un témoignage que d'un enseignement. Le témoignage d'une foi qui préfère chercher, par des chemins toujours hasardeux, plutôt que de redire ce qu'on a toujours dit.
Je suis en effet étonné de constater que, dans les homélies du dimanche, au catéchisme, et même dans les documents officiels, encycliques, etc., il n'est presque jamais question de la vie éternelle. Oui, les oraisons du missel en parlent souvent, surtout après la communion, mais ce ne sont que de brèves allusions. D'ailleurs nous devons avouer que nous n'aspirons pas tellement à cette vie au ciel ; elle ne nous semble pas tellement désirable. Le paradis musulman peut être attirant, mais la vie éternelle, telle qu'elle était décrite dans les vieux catéchisme, ou même par Dante dans sa Divine Comédie, ne nous attire plus beaucoup.
Plus fondamentalement, nous constatons que l'Évangile tient toute sa cohérence indépendamment d'une survie après la mort. Jésus croyait à la vie éternelle, comme l'attestent tant de textes, et comme tout e monde en son temps, mais, -- il faut le souligner, -- il ne fondait pas son enseignement sur cette croyance. La Bonne Nouvelle qu'il nous a apporté n'est pas l'annonce de l'immortalité de l'âme. On y croyait bien avant lui. ! Il est venu annoncer le Royaume de Dieu, ce n'est pas la même chose. Car ce Royaume est proche, il est parmi nous, il est en nous. Nous ne devons pas attendre notre mort pour y entrer.
Mais vous savez que, plus tard, surtout au Moyen-âge, la perspective de l'au-delà s'est imposée comme déterminante. La vie chrétienne toute entière a été présentée comme une préparation à la vie là-haut, hors de ce monde. Les motivations pour le comportement chrétien étaient le désir de la récompense au ciel ou la peur du châtiment en enfer. Jésus avait pourtant dit : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ! » (Mt 10, 8), mais désormais tout l'enjeu de la vie était récapitulé dans la rétribution, après la mort. Les sermons, le catéchisme, tout était articulé autour de cet axe. Nous voyons aujourd'hui que cette accentuation excessive était une déformation de l'Évangile, une manière de le dénaturer. La preuve en est que cela aboutissait à une grave aliénation, heureusement dénoncée par les penseurs de ces derniers siècles.
Toujours est-il qu'aujourd'hui notre réaction normale à cet excès est le silence et l'oubli, sinon le rejet. Mais cette réaction n'est-elle pas aussi excessive ? Ne risquons-nous pas de brader ainsi d'importantes richesses de notre tradition, de la dénaturer à notre tour ? Nous faisons bien de poser ce genre de question.
Je vois trois approches. D'abord ne pas rejeter avec désinvolture les façons d'exprimer le mystère, tel qu'il a été formulé tout au long des siècles de notre chrétienté. Ensuite savoir que Dieu a plus d'imagination que nous pouvons le concevoir, et qu'il nous réserve toujours des surprises. Mais surtout, dans de telles situations, quand nous ne savons plus bien comment croire, il nous faut retourner, une fois de plus, à l'Évangile, en particulier à celui d'aujourd'hui.
En réponse à la question absurde des Saducéens, Jésus commence par leur donner raison : oui, la vie pour Dieu, après la mort n'est pas la simple prolongation de la vie ordinaire ou l'on se marie et engendre une progéniture, une copie revue et corrigée de cette vie ici bas, comme le pensaient les Pharisiens. Il ne s'agit plus de continuer à accomplir les tâches, les devoirs de la vie de citoyen ou de fidèle, comme de procréer une descendance à notre lignage. Les 'fils de la résurrection' sont 'pareils aux anges', ils sont 'fils de Dieu'. C'est dire que leur vie est absolument inimaginable, parce qu'elle est dans la main de Dieu.
Mais Jésus poursuit sa réponse aux Saducéens. Ceux-ci, à la différence des Pharisiens, ne voulaient croire qu'à ce qui était enseigné dans le Pentateuque, les cinq premiers livres de la Bible. Et Jésus en tient compte pour leur faire comprendre, -- et pour nous faire comprendre, à nous aussi, -- que ce monde inimaginable n'est pas inatteignable, virtuel, fantasmagorique. En effet, c'est dans la Genèse, qu'il est question du 'Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob'. « Or il n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants ; tous en effet vivent pour lui. »
« Vivre pour lui » : Jésus est venu nous annoncer comment entrer dans une telle vie, une vie plénière, une vie sans limites. Saint Paul l'exprime à sa façon : « Aucun de nous ne vit pour lui-même, et personne ne meurt pour soi-même. Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc, dans la vie comme dans la mort, nous sommes au Seigneur ». (Rm 14, 7)
La résurrection du Seigneur Jésus est la manifestation la plus éclatante du triomphe d'une vie donnée qui se révèle indéfiniment féconde. Adhérer au Christ, dans la foi, par les sacrements, en pardonnant, en aimant nos frères, c'est consentir à cette transformation, c'est accéder à une vie nouvelle, ouverte sur un dépassement infini, la vie que Jésus est venu nous apporter, pour que nous l'ayons en abondance. Y croyons-nous ?
L'Évangile de ce dimanche nous invite en tout cas à continuer, ou plutôt à renouveler, notre réflexion sur ce mystère de la vie en plénitude, au cœur de notre vie concrète. Je n'ai fait que balbutier quelques réflexions, parce qu'il faut essayer. Vous pouvez tous continuer. Il faut continuer parce que si nous laissons dans le vague les questions à ce sujet, il y a une dimension de notre vie qui risque de rester atrophiée. Ne pouvant plus croire à la présentation archaïque d'une survie hors du temps et de l'espace, nous risquons d'abandonner du même coup tout espoir de dépassement dans notre vie.
Or, comme l'écrivait Pascal, « L'homme passe infiniment l'homme ». C'est pourquoi la dimension 'eschatologique', l'ouverture à l'ultime est essentielle à la vie chrétienne. Seulement il ne s'agit pas d'une réalité qui se vivrait hors des limites de notre existence, mais bien plutôt au cœur d'une vie donnée sans calcul, sans escompter de rétribution personnelle, une vie donnée, simplement parce que nous comprenons que la vie reçue de Dieu est faite pour être donnée. Je crois que le témoignage des Frères de Tibhirine illustre bien la fécondité d'une telle existence, donnée pour la vie du monde. Ils sont restés simplement fidèles à leur engagement, solidaire avec leurs voisins. Et nous voyons aujourd'hui que leur « vie pour Dieu » était emblématique. Mais nous pouvons, nous aussi, faire l'expérience de ce que disait saint Jean dans son épître : « Nous savons, nous, que, parce que nous aimons nos frères, nous sommes passés de la mort à la vie ».
(1 Jn 3, 14)
En ces jours-là, sept frères avaient été arrêtés avec leur mère. À coups de fouet et de nerf de b?uf, le roi Antiocos voulut les contraindre à manger du porc, viande interdite. L'un d'eux se fit leur porte-parole et déclara : « Que cherches-tu à savoir de nous ? Nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères. » Le deuxième frère lui dit, au moment de rendre le dernier soupir : « Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente, mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. » Après cela, le troisième fut mis à la torture. Il tendit la langue aussitôt qu'on le lui ordonna et il présenta les mains avec intrépidité, en déclarant avec noblesse : « C'est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise, et c'est par lui que j'espère les retrouver. » Le roi et sa suite furent frappés de la grandeur d'âme de ce jeune homme qui comptait pour rien les souffrances. Lorsque celui-ci fut mort, le quatrième frère fut soumis aux mêmes sévices. Sur le point d'expirer, il parla ainsi : « Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. »
- Parole du Seigneur.
2 M 7, 1-2.9-14
Seigneur, écoute la justice ! Entends ma plainte, accueille ma prière. Tu sondes mon c?ur, tu me visites la nuit, tu m'éprouves, sans rien trouver.
J'ai tenu mes pas sur tes traces, jamais mon pied n'a trébuché. Je t'appelle, toi, le Dieu qui répond : écoute-moi, entends ce que je dis.
Garde-moi comme la prunelle de l'?il ; à l'ombre de tes ailes, cache-moi, Et moi, par ta justice, je verrai ta face : au réveil, je me rassasierai de ton visage.
Ps 16 (17), 1ab.3ab, 5-6, 8.15
En ce temps-là, quelques sadducéens - ceux qui soutiennent qu'il n'y a pas de résurrection - s'approchèrent de Jésus et l'interrogèrent. Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d'avoir part au monde à venir et à la résurrection d'entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 20, 27.34-38