Une homélie de fr. Yves de patoul
J'aime beaucoup cette fête de l'Epiphanie car elle est pleine de couleurs, d'images et de symboles qui sont tous les uns plus merveilleux que les autres. Il y a d'abord cette étoile que les mages ont suivie pour venir adorer le divin sauveur né dans une crèche, une étoile qui les a guidée tout au long d'un voyage qui s'était avéré périlleux à la fin puisque l'enfant nouveau-né était perçu comme un rival du roi Hérode régnant sur la terre d'Israël. Il y a ensuite ces mystérieux rois mages venus d'orient qui sont aussi ceux qu'Isaïe avait prophétisé dans les derniers chapitres de son livre - appelés le troisième Isaïe ̶ ; ils figurent eux-mêmes tous les rois de la terre qui afflueront vers Jérusalem les mains chargées d'offrandes précieuses comme on le chante dans les psaumes ces jours-ci. Ces dernières symbolisent les richesses sociales et culturelles de tous les peuples. L'or, l'encens et la myrrhe ,ce sont aussi tous les dons les plus chers que nous pouvons offrir à Dieu en gage de notre confiance, de notre amitié pour le Christ en qui nous reconnaissons notre sauveur.
Inséré au milieu de ces deux textes, celui de Matthieu et celui d'Isaïe, il y a encore ce court texte de saint Paul aux Éphésiens dans lequel l'Apôtre des nations donne un sens à tous ces symboles. Il nous parle de la révélation d'un mystère qu'il appelle « le mystère du Christ », à savoir, dit-il, que « les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'évangile ». Ce mystère, ajoute-t-il, lui a été révélé par grâce, ainsi qu'aux Apôtres par l'Esprit Saint.
Outre ces deux images au parfum d'exotisme, l'étoile et les mages, que nous trouvons dans l'Evangile de Matthieu et dans la prophétie d'Isaïe, on peut y apercevoir quelques autres aspects remarquables. Je vois en particulier aussi bien chez Isaïe que chez Matthieu un grand élan, une mobilisation, une convergence. On se lève, on marche, on accourt. Il y a aussi a aussi des grands contrastes qui en disent long comme par sarcasme : Hérode par exemple, lui, ne bouge pas : il convoque les mages et leur demande de l'informer sur le lieu où était né « le chef qui sera le berger de mon peuple ». Pour illustrer ces mouvements, tournons-nous vers Isaïe : « Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t'envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d'Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l'or et l'encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur. » Insistons sur la dernière phrase de cette citation, qui rejoint saint Paul aux Ephésiens : « ils viendront et annonceront les exploits du Seigneur » ; saint Paul dira à sa manière : « les païens (nous-mêmes y c.) sont associés ... au même corps, ... dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'évangile ». Nous passerions complètement à côté du sens de la fête de l'Epiphanie, sans voir que nous sommes invités à témoigner de notre foi aux non-croyants, à nous mobiliser nous aussi, à nous tourner vers les pauvres qui ont besoin du salut en Jésus Christ. Si le Christ est présent dans les pauvres, n'est-ce pas en eux que à notre tour nous pouvons le mieux adorer l'enfant de Bethléem et lui rendre notre hommage.
Un autre symbole est très remarquable dans tous ces textes, c'est la lumière. La lumière, celle qui nous guide, celle qui nous éclaire. Elle éclate littéralement dans la prophétie d'Isaïe : « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore ». Elle est présente de façon discrète mais efficace dans le récit des mages venus adorer l'enfant Jésus. Elle est le symbole du Christ lui-même, de sa Parole, de l'Evangile qui nous guide et nous éclaire dans notre chemin vers le royaume de Dieu.
Cherchons maintenant à nous réapproprier le texte. Que peut bien signifier pour nous la fête de l'Epiphanie ? Allons-nous en rester à cet émerveillement devant une si belle histoire qui s'est passée il y a 20 siècles et dont nous doutons peut-être de son authenticité historique ? A ce sujet, sachons bien que les évangiles ne « racontent pas des histoires » selon l'expression française qui signifie : « je ne crois pas grand'chose à ce que tu me dis, ce ne sont que des balivernes, soyons plus sérieux ». Les évangiles sont remplis d'histoires qui veulent nous dire chacune une vérité qu'il faut découvrir seul ou à plusieurs (en partageant sa lecture comme on le fait dans de nombreux groupes bibliques). Une complication, objective, réelle de la lecture des évangiles tient sans doute à son ancrage dans l'Ancien Testament. Il est préférable en effet de savoir à quels faits anciens les évangélistes se raccrochent. Dans un petit ouvrage sur les évangiles de l'enfance, le théologien qu'était le pape Benoit XVI écrivait qu'il se ralliait à l'avis d'un collègue qui disait ceci : « les évangélistes n'entendent pas tromper leurs lecteurs mais veulent raconter des faits historiques ». Sur les mages et l'étoile qui les a guidés, pensons ce que l'Esprit nous inspire mais ne rejetons pas tout dans l'affabulation.
Peu importe au fond la question de l'historicité de ces récits, nous devons croire que c'est Dieu qui en est l'auteur et qu'il a quelque chose à nous communiquer. Je vous partage ma lecture de cet évangile. Partons du terme « épiphanie » : il signifie la manifestation de ce qui était encore caché, c'est-à-dire la gloire de Dieu révélée en son fils Jésus qui était assis à sa droite de toute éternité. C'est le mystère du Christ révélé à tous les hommes. Jusque-là rien de neuf. Mais quand on entre dans les détails de cette épiphanie, on peut deviner par exemple que la démarche coûteuse des mages qui suivent un astre brillant, qui ne se laissent pas impressionner par un roi despotique, c'est aussi la nôtre. Nous aussi avec notre cœur, notre intelligence et notre sensibilité, nous cherchons tous le Christ, non pas où il est comme Hérode, mais nous voulons le rencontrer lui-même, nous en revêtir et le manifester à nos frères qui ne le connaissent pas encore ou mal. « Ils viendront et annonceront les exploits du Seigneur » (Isaïe 60,6) et « les païens sont associés au même héritage, au même corps par l'annonce de l'évangile » (Ep 3,6).
Ainsi en quelque sorte, en témoignant de notre rencontre vraie avec le Christ, nous devenons une épiphanie du Christ pour le monde. Nous autres qui communions au corps et au sang du Christ, nous avons pour vocation de l'apporter en nourriture à nos frères. J'ai un souvenir particulier d'une messe célébrée à Lemba (une commune de Kinshasa où nous habitions avec les PP. Damien, François et Jean-Marie). C'était le jour de l'Epiphanie la messe de 10h00 en français dite des intellectuels (on chantait en français et même en latin) ; l'église St-Augustin était comble avec environ 1000 personnes et je leur disais pour les flatter que c'était leur fête. Oui, les mages représentent tous ceux qui sont prêts à abandonner leur routine et leur confort pour partir à la recherche de ce qu'ils désirent profondément ; ils suivent avec persévérance et obstination ce qu'ils croient au fond de leur cœur. Ils le font avec toutes leurs ressources intellectuelles, culturelles mais aussi affectives et personnelles. Il leur arrive de s'égarer mais des anges peuvent parfois les remettre sur le bon chemin : « ils sont avertis en songe » comme nos trois sages. Leur apparition a été fulgurante : ils viennent de loin, ils suivent un astre, ils viennent déposer leur offrande, puis ils repartent et disparaissent en prenant un autre chemin pour déjouer le malin. Bel hommage de l'évangéliste Matthieu à tous les hommes de bonne volonté, à tous les croyants de bonne foi.
Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s'est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton c?ur frémira et se dilatera. Les trésors d'au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t'envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d'Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l'or et l'encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.
- Parole du Seigneur.
Is 60, 1-6
Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice. Qu'il gouverne ton peuple avec justice, qu'il fasse droit aux malheureux !
En ces jours-là, fleurira la justice, grande paix jusqu'à la fin des lunes ! Qu'il domine de la mer à la mer, et du Fleuve jusqu'au bout de la terre !
Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents. Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront.
Il délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours. Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie.
Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13
Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m'a donnée pour vous : par révélation, il m'a fait connaître le mystère. Ce mystère n'avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l'Esprit. Ce mystère, c'est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l'annonce de l'Évangile.
- Parole du Seigneur.
Ep 3, 2-3a.5-6
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l'orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant. Et quand vous l'aurez trouvé, venez me l'annoncer pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l'étoile qu'ils avaient vue à l'orient les précédait, jusqu'à ce qu'elle vienne s'arrêter au-dessus de l'endroit où se trouvait l'enfant. Quand ils virent l'étoile, ils se réjouirent d'une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 2, 1-12