Homélie du 18 mai 2023

Cet évangile nous aide à bien comprendre cette fête de l'Ascension que nous célébrons. Nous avons entendu Jésus nous assurer : «  Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde. » L'Ascension n'est pas la célébration nostalgique du départ et donc de l'absence, désormais, de Jésus, mais précisément l'inauguration de sa nouvelle présence parmi nous, «  tous les jours, jusqu'à la fin du monde  ».

Mes frères, mes sœurs, il ne faut donc pas rester les yeux au ciel et tout désemparés, mais simplement, comme l'évangile de Luc le dit des apôtres après l'Ascension, retourner en ville, pleins de joie, et en bénissant Dieu, sans cesse.

La présence de Jésus 'dans la chair' était certainement une grâce. Nous aurions aimé pouvoir le rencontrer ainsi sur les routes de la Galilée : là nous aurions tout compris ! Mais rappelons-nous que ceux qui l'ont rencontré ainsi, 'en présentiel', n'en ont pas compris grand-chose. Il faut plus, pour comprendre qu'il est vraiment l'Emmanu-El', Dieu-avec-nous, présent parmi nous. Il faut la grâce de l'Esprit Saint que Jésus envoie.

Car la présence de Jésus aujourd'hui, qui n'est plus 'en présentiel', n'est pas non plus simplement 'virtuelle' ; elle est 'sacramentelle', c'est à dire donnée par l'Esprit de Jésus. Elle n'est pas une image du passé, soigneusement entretenue et transmise, mais qui, à la longue, risque de n être plus que résiduelle . Elle demande une conversion du regard, une transformation intérieure. Elle est constamment à refaire par chacun d'entre nous et tous ensemble, en particulier au cours de l'eucharistie, qui est le sacrement de sa présence.

Voyons donc comment s'effectue cette conversion. Les disciples, les premiers, ont dû la faire avant nous.

Ils l'avaient d'abord bien connu, suivi et entendu, en Galilée, à Jérusalem ..., jusqu'au jour où il a été trahi et brutalement arraché à leur affection et leur ambition. Ils ont alors dû faire l'expérience cruelle de son absence. Puis, pendant les quarante jours qui ont suivi Pâques, ils l'ont retrouvé, mais c'était une présence évanescente, une vision passagère. Ils ont au moins commencé à comprendre alors que désormais ils pouvaient rencontrer Jésus en la personne d'un voyageur, d'un jardinier, d'un vacancier sur la plage du lac, et ils ont pressenti que désormais tout ce qu'ils faisaient au plus petit d'entre les humains, c'est à Jésus qu'ils le faisaient. Tout ce temps a été comme un apprentissage à la nouvelle présence du Christ parmi nous.

Et puis à l'Ascension, ces visions ont cessé, et ils ont eu recours à la prière pour vivre cette absence dans l'espérance. Ils se souvenaient que Jésus leur avait dit qu'il valait mieux qu'il parte. C'est pourquoi il est écrit aux Actes de Apôtres qu'après l'Ascension, «  les disciples étaient retournés à Jérusalem et ils étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus  ». Pendant ces dix jours avant la Pentecôte, ils étaient là, «  tous unanimes  », comme dit encore le texte. Ils se souvenaient que Jésus leur avait promis d'envoyer son Esprit pour les consoler et raffermir ; ils essayaient de comprendre. De fait, à la Pentecôte l'Esprit de Jésus leur est tombé dessus. Et ils ont compris.

La présence de Jésus n'est plus désormais un voisinage, vis-à-vis, mais une force intérieure. Désormais ceux qui étaient enfermés au cénacle par peur des juifs ouvrent portes et fenêtres, et Pierre qui, on s'en souvient, la nuit de l'arrestation de Jésus, avait balbutié à une servante qu'il ne connaissait pas cet homme, Pierre donc s'adresse maintenant à la foule, plein d'assurance, pour annoncer : «  Que toute la maison d'Israël le sache : Dieu a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié  ». Jésus est désormais présent et agissant par son Esprit.

Et cette présence nouvelle du Christ n'est pas qu'une force indistincte, obscure ; elle est une mémoire vive, efficace. Aujourd'hui encore, nous en recevons la capacité au baptême, mais elle doit être entretenue, nourrie, développée pour nous habiter toujours plus pleinement. L'eucharistie est un des lieux où cette présence sacramentelle se vit le plus intensément, tant par l'écoute des Paroles qui nous rappellent toute la vie de Jésus, que par le partage du pain. Car alors nous entendons Jésus nous recommander : «  Faites-ceci en mémoire de moi !  » Et cette mémoire de Jésus est chaque fois renouvelée par l'action du saint Esprit. C'est ce qu'on appelle la présence sacramentelle, la présence réelle, quand nous le reconnaissons pleinement «  à la fraction du pain  ».

L'Ascension n'est donc pas la fête du départ de Jésus ! Elle est la célébration de sa nouvelle présence dans l'Église, en notre vie de «  tous les jours, et jusqu'à la fin du monde  ». La foi en cette présence est une grande force qui se renouvelle dans la prière et toutes nos rencontres. Nous en sommes responsables. Tout au long de notre vie, nous revivons ainsi régulièrement le temps de ces dix jours, entre l'Ascension et la Pentecôte. Temps de prière, d'attente et d'espérance. Car il faut ajouter que cette présence n'est pas toujours clairement perçue. Comme en toute relation, elle peut connaitre des éclipses douloureuses. L'histoire de cette présence du Christ en nous passe également par des expériences d'absence, comme l'ont vécue les disciples, et comme nous le voyons chez tant de saints. Nous le savons : paradoxalement, l'expérience de l'absence fait aussi partie de l'histoire d'une rencontre intense. Mais, plus fondamentalement, nous pouvons dire avec saint Paul : «  Je sais en qui j'ai mis ma foi !  »

Oui, mes frères, mes sœurs, en toute notre vie, cette présence est alors une force intérieure, un feu, comme celui que les disciples d'Emmaüs avaient reconnu en rencontrant à leur insu le Seigneur, sur le chemin, et ils en «  avaient le cœur tout brûlant  ». Elle transforme peu à peu toute notre personne, au point que nous pouvons bientôt dire, encore avec saint Paul «  Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi  ». Telle est bien la présence du Christ au plus intime de nous-mêmes : une présence qui nous fait vivre une vie nouvelle. C'est cette présence que nous fêtons aujourd'hui.