Une homélie de fr. Yves de patoul
Homélie sur la Prière sacerdotale de Jésus
Voilà un évangile bien dense. Essayons d'en pénétrer la substance par notre esprit et notre cœur. Nous sommes toujours dans le discours d'adieu que Jésus a prononcé devant les Douze au cours de la Dernière scène, c'est son testament spirituel. Tout à la fin de ce discours, Jésus s'adresse à son Père, principalement pour qu'il exauce sa prière en faveur des hommes qui l'ont suivi fidèlement. On appelle cette dernière partie « la prière sacerdotale de Jésus ».
Sa prière commence ainsi : « Père, j'ai achevé l'œuvre que tu m'avais confiée : je t'ai glorifié sur la terre des hommes, ceux que tu m'as confiés ; maintenant, glorifie ton Fils afin qu'il te glorifie, et que tous ceux qui ont cru en moi puissent à leur tour te glorifier ». La gloire de Dieu est une notion biblique qu'il faut essayer de bien saisir : rien à voir évidemment avec la notion humaine d'opinion flatteuse ou d'honneur qu'on accorde à quelqu'un pour une qualité réelle ou supposée. La gloire de Dieu, elle se manifeste, elle éclate, dans ses œuvres, dans sa grande bonté, dans la délivrance qu'il nous accorde et qui nous rapproche de lui. La gloire de Dieu, sa « puissance », c'est l'être-même de Dieu (littéralement son poids, kadosh en hébreu) ; elle est visible dans son grand amour pour nous, et elle culmine dans la passion et la résurrection de Jésus. Pour saint Jean, la gloire de Dieu apparaît dans des signes (le vin abondant de Cana, le Pain descendu du ciel, la guérison de l'aveugle-né, la résurrection de Lazare) qui tous convergent vers ou figurent la mort et la résurrection du Christ, la croix étant le grand signe de la gloire de Dieu, celui par lequel le Fils de l'Homme est élevé au-dessus de toute puissance créée.
« Je t'ai glorifié » signifie donc, dans la bouche de Jésus : j'ai accompli l'œuvre d'amour que tu m'avais confiée. Or, pour accomplir cette œuvre, Jésus Christ a renoncé à la gloire qu'il avait auprès du Père au commencement, il a pris la condition d'esclave, de serviteur souffrant, de brebis qu'on mène à l'abattoir. Maintenant : « glorifie-moi », ou « glorifie ton Fils », signifie : le temps est venu de me relever, le temps est venu de la résurrection, alors je pourrai te glorifier à mon tour et tous ceux qui croiront en moi pourront eux aussi te rendre gloire, sanctifier ton nom. Jésus ne se glorifie pas lui-même ! C'est le Père qui ressuscite son Fils et qui le glorifie. La croix de Jésus Christ est le signe visible du paradoxe chrétien : l'humiliation totale, l'abaissement extrême de Jésus est en même temps sa plus grande gloire, celle que le Père lui offre en récompense du don total de sa vie, la Résurrection.
« Je prie pour eux ; ce n'est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m'as donnés : (...) et je trouve ma gloire en eux ». Par ces quelques mots, nous sentons bien que nous sommes associés à la prière de Jésus, que nous sommes quasiment aspirés dans une spirale ascendante qui nous mène jusqu'à l'intimité même du Père et du Fils. Nous sommes tout proches du face à face avec le Père. Nous voudrions sans doute en savoir un peu plus, à quoi ressemble ce monde de l'Esprit vers lequel Dieu veut nous attirer. Mais non, nous n'en saurons pas plus, et d'ailleurs, brusquement, nous retombons sur terre avec toute la pesanteur de notre nature humaine.
Je partage les sentiments d'un commentateur de cet évangile : cette aspiration vers le haut peut nous faire peur. Nous pouvons penser en effet que nous sommes trop indignes de partager la gloire du Fils avec le Père. Certes, nous avons une nature spirituelle qui nous attire vers le Très-Haut, le Tout-puissant, qui nous entraîne vers des hauteurs insoupçonnées. Mais nous avons aussi une nature charnelle qui nous attire vers le bas de ce monde, et qui peut nous désillusionner, nous attrister.
Cette prière de Jésus semble nous réconforter, nous rassurer sur nos craintes : tant que vous vivez sur cette terre, nous dit Jésus, contentez-vous de vivre votre vie d'homme et ne cherchez pas à savoir ce que vous réserve l'au-delà. L'accès au Dieu du ciel n'est pas si compliqué que ne le disent vos théologiens. Il suffit de rayonner de la joie de l'Esprit-Saint que vous avez reçu au baptême ». C'est le moment de se rappeler la célèbre formule de saint Irénée : « La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ». Et c'est quoi l'homme vivant ? sinon l'homme debout, capable de se relever, l'homme droit, qui transmet autour de lui la vie de Dieu, son amour, sa gloire. Gardons-nous de penser que cet homme-là est exclusivement le bon chrétien, catholique, pratiquant. C'est plutôt celui qui rayonne l'amour de Dieu dans son cœur et dans ses œuvres tout autant. La formule complète de saint Irénée peu connue va d'ailleurs dans le sens d'une perfection évangélique : « la vie de l'homme est la vision de Dieu ». Je paraphraserai saint Irénée en disant : « La gloire de Dieu c'est l'homme vivant et la vie de l'homme consiste principalement à voir Dieu à travers nos frères et sœurs qui sont le reflet de la présence du Christ.
L'Apôtre Pierre dans sa lettre que nous avons entendue nous invite à rendre gloire à Dieu sans honte pour les souffrances que nous aurions à endurer à cause de son Fils : « si l'on vous insulte pour le nom de Jésus, heureux êtes-vous, parce que l'Esprit de Dieu repose sur vous ». Quant à nous frères et sœurs, restons dans l'action de grâce et la prière en poursuivant cette eucharistie et en attendant la venue de l'Esprit saint.
Les Apôtres, après avoir vu Jésus s'en aller vers le ciel, retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche, - la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c'était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d'Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d'un même c?ur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.
- Parole du Seigneur.
Ac 1, 12-14
Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ?
J'ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m'attacher à son temple.
Écoute, Seigneur, je t'appelle ! Pitié ! Réponds-moi ! Mon c?ur m'a redit ta parole : « Cherchez ma face. »
Ps 26 (27), 1, 4, 7-8
Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d'être dans la joie et l'allégresse quand sa gloire se révélera. Si l'on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l'Esprit de gloire, l'Esprit de Dieu, repose sur vous. Que personne d'entre vous, en effet, n'ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c'est comme chrétien, qu'il n'ait pas de honte, et qu'il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.
- Parole du Seigneur.
1 P 4, 13-16
En ce temps-là, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l'heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. Moi, je t'ai glorifié sur la terre en accomplissant l'?uvre que tu m'avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde existe. J'ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m'as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m'avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m'as envoyé.
Moi, je prie pour eux ; ce n'est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m'as donnés, car ils sont à toi. Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Jn 17, 1b-11a