Une homélie de fr. Yves de patoul
À première vue cet évangile n'est pas très passionnant : la question qui est posée à Jésus est une question de rabbin juif sur la hiérarchie des commandements de la Loi, - quel en est le plus grand ? -, et la réponse de Jésus est d'une grande évidence - aimer Dieu et aimer son prochain -, ce qui est déjà plus que le commandement johannique de s'aimer les uns les autres. Et vous allez sans doute vous demander, et à raison : qu'est-ce qu'il va nous raconter ?
Je répondrai deux choses. La première qui est dite dans notre texte, mais qui est souvent passée sous silence, est qu'il faut aimer son prochain comme soi-même. Donc il faut aussi s'aimer soi-même, ce qui n'est pas évident pour tout le monde ; le taux, même minime, de suicide peut suffire à illustrer cette difficulté pour certaines personnes à s'aimer soi-même. Les psychologues peuvent les aider parce que le non-amour de soi est une sorte de maladie qui peut entraîner des conséquences néfastes sur l'entourage. Et d'ailleurs nous avons tous à gagner en nous soignant le plus possible, pas seulement le corps mais aussi l'âme et l'esprit. « Tu aimeras Dieu (et ton prochain aussi) de tout cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». Malade du cœur, de l'âme ou de l'esprit, je serai handicapé pour bien aimer mon prochain. Ne dit-on pas que toute blessure dans la petite enfance laisse des traces indélébiles dans le reste de la vie ?
La deuxième chose que je dirais, toujours pour répondre à l'objection de l'évidence de la réponse de Jésus qu'il faut aimer Dieu et son prochain, c'est le non-dit au sujet de l'amour : aimer c'est quoi ? Jésus ne répond pas à cette question directement. Mais il répète quand même la Loi mosaïque qui exprime le comment : il faut « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit » et aussi son prochain puisque ce commandement d'aimer son prochain est lié au premier commandement. Pour plus de précisions de la part de Jésus, il faut lire tous les évangiles et toutes les épitres dans lesquels nous comprenons mieux la volonté de Dieu sur nous.
Ce qui rend le problème - si l'on peut ainsi dire - encore plus difficile, c'est qu'il s'agit d'aimer Dieu lui-même que nous ne voyons pas. Bien sûr, comme dit saint Jean, celui qui n'aime pas son frère ne peut pas prétendre aimer Dieu qu'il ne voit pas : c'est un peu facile de prétendre aimer Dieu et de mal se comporter avec ses frères et sœurs. Cependant, je veux suivre les avis autorisés de ceux qui vont dans le sens de dire qu'il ne faut pas faire une équivalence stricte entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Ce dernier, le prochain, est d'ailleurs toujours entaché d'imperfection alors qu'il n'en est pas ainsi pour Dieu qui est l'être parfait, plein d'amour et de miséricorde. Évitons donc de dire : « mon amour des hommes prouve mon amour de Dieu », « il n'y a d'amour de Dieu que dans l'amour des hommes ». En disant ainsi on sera suspecté d'activisme ; on ne respecte plus la transcendance de Dieu, on banalise la charité et aussi la vertu si importante de l'humilité. Ce n'est pas le nombre de personnes que nous avons secourues qui est le plus important. Mais qui suis-je pour juger le mérite des humanitaires, Croix Rouge, Croissant Rouge, Médecins et infirmiers sans frontières et bien d'autres qui sauvent un grand nombre de vies humaines dans des circonstances tragiques comme les catastrophes naturelles ou les conflits armés. J'ai le plus grand respect pour toute ces personnes souvent volontaires et qui sont de toutes confessions et de toute opinion politique. J'aimerais être à leur côté. Ne sachant pas je le suis dans la prière
Hier matin j'écoutais sur mon téléphone le commentaire d'un théologien protestant sur notre évangile ; il proposait lui aussi de prêter attention au fait que l'amour du prochain doit être à l'image de l'amour de soi-même. Le texte suppose que nous nous aimons nous-même. Il montrait d'abord que l'amour est, selon son expression, « à tous les étages ». La loi, celle des juifs et celle des chrétiens, nous ordonne non pas de croire en Dieu mais d'aimer Dieu. Elle nous ordonne encore d'aimer notre prochain, non pas de sentiments mais en acte : « tu accorderas l'asile à l'étranger, tu protégeras la veuve et l'orphelin, tu donneras à l'ouvrier son salaire juste, tu ne maudiras pas le sourd, tu ne te vengeras pas, tu n'avantageras pas le pauvre, etc ». Et puis encore ou enfin : tu t'aimeras toi-même, non pas de façon narcissique mais comme celui qui est aimé de Dieu et qui en éprouve de la joie . Il concluait que l'amour est trinitaire : on ne peut pas aimer Dieu si on n'aime pas son prochain ; on ne peut pas aimer son prochain si on n'aime Dieu et si on ne s'aime pas soi-même comme aimé de Dieu. L'amour est trine, il est trinitaire : Dieu, le prochain et moi-même.
Que conclure ? Comme saint Ignace de Loyola ? qu'il faut prendre du temps dans la journée pour soi-même, pour le prochain et pour Dieu ? Selon que vous êtes prêtre, religieux ou laïc, vous accordez plus ou moins de temps à ces trois objets ou destinataires de l'amour. N'en oubliez aucun ders trois, n'en négligez aucun des trois car l'amour est trinitaire. Rappelons-nous encore que, comme le disait Dorothée de Gaza au IVe siècle à son disciple Barsanufe, à l'image des cercles concentriques plus nous nous rapprochons les uns des autres tels des rayons qui se raccourcissent en progressant vers le centre, plus nous nous rapprochons de Dieu qui est le centre de tous les cercles.
Retenons surtout que, en régime chrétien, avec Jésus, il ne s'agit pas tellement d'aimer en parole, en louange - « Seigneur ! Seigneur ! » - mais en acte. Mais comment aimer Dieu qu'on ne voit pas ? me demanderez-vous ? Pour cela, il faut prendre du temps pour lire la Parole de Dieu ou se la faire enseigner si on ne sait pas la lire correctement ; ensuite prendre du temps pour les méditer comme Marie le faisait avec l'aide du Saint Esprit pour comprendre la volonté de Dieu sur nous.
Une fois de plus prions avec le psalmiste :
Je t'aime Seigneur, ma force.
Seigneur, mon roc, ma forteresse.
Dieu mon libérateur, le rocher qui m'abrite.
Mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !
Louange à Dieu ! Quand je fais appel au Seigneur.
Je suis sauvé de tous mes ennemis.
Lui m'a dégagé mis au large.
il m'a libéré car il m'aime.
Ainsi parle le Seigneur : « Tu n'exploiteras pas l'immigré, tu ne l'opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d'Égypte. Vous n'accablerez pas la veuve et l'orphelin. Si tu les accables et qu'ils crient vers moi, j'écouterai leur cri. Ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple, à un pauvre parmi tes frères, tu n'agiras pas envers lui comme un usurier : tu ne lui imposeras pas d'intérêts. Si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil. C'est tout ce qu'il a pour se couvrir ; c'est le manteau dont il s'enveloppe, la seule couverture qu'il ait pour dormir. S'il crie vers moi, je l'écouterai, car moi, je suis compatissant ! »
- Parole du Seigneur.
Ex 22, 20-26
Je t'aime, Seigneur, ma force : Seigneur, mon roc, ma forteresse, Dieu mon libérateur, le rocher qui m'abrite, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !
Louange à Dieu ! Quand je fais appel au Seigneur, je suis sauvé de tous mes ennemis. Lui m'a dégagé, mis au large, il m'a libéré, car il m'aime.
Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher ! Qu'il triomphe, le Dieu de ma victoire ! Il donne à son roi de grandes victoires, il se montre fidèle à son messie.
Ps 17 (18), 2-3, 4.20, 47.51ab
Frères, vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous pour votre bien. Et vous-mêmes, en fait, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves, avec la joie de l'Esprit Saint. Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et de Grèce. Et ce n'est pas seulement en Macédoine et en Grèce qu'à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti, mais la nouvelle de votre foi en Dieu s'est si bien répandue partout que nous n'avons pas besoin d'en parler. En effet, les gens racontent, à notre sujet, l'accueil que nous avons reçu chez vous ; ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles, afin de servir le Dieu vivant et véritable, et afin d'attendre des cieux son Fils qu'il a ressuscité d'entre les morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.
- Parole du Seigneur.
1 Th 1, 5c-10
En ce temps-là, Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l'un d'entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton c?ur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 22, 34-40