Une homélie de fr. Grégoire Maertens
Si l'évangile de ce jour avait été lu en grec, vous auriez sans doute été distraits par la dernière ligne : « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l'heure » : en grec, veiller c'est « gregoreo » : inutile de vous dire combien je suis interpellé par ce mot qui revient près de 25 fois dans le Nouveau Testament.
Dans le cadre de la liturgie de ce jour, le mot évoque la nécessité d'être prêt, vigilant, prévoyant, sage, sensé ou, a contrario, d'éviter d'être sot, insensé, insouciant. Tout cela, parce que nous ne savons ni le jour ni l'heure de la venue de l'Epoux et finalement, du Christ Lui-même qui nous invite à le rencontrer.
La Parole de Dieu, aujourd'hui, que nous dit-elle ?
Dans la première lecture, il s'agit de la Sagesse : elle se présente presque comme Dieu lui-même : on ne doit pas se fatiguer à courir après elle : dès l'aurore c'est elle qui va à la rencontre de ceux qui pensent à elle -comme des amoureux pensent l'un à l'autre - et ce qui ne gâte rien, c'est qu'elle apparaît « avec un visage souriant. »
Le psalmiste, lui aussi, est un vigilant :
« Mon Dieu, je te cherche dès l'aube......
après toi languit ma chair...
dans la nuit je me souviens de toi.
et je reste des heures à te parler... » (Ps. 62)
Et voici St Paul qui, lui aussi, parle du sommeil : cette fois c'est le sommeil de la mort.
Alors quoi ! La vigilance des mortels aboutirait-elle au néant ? Après le dernier soupir : la grande déception ?
Oui, dit Paul, nous serons « endormis dans la mort » : mais, ajoute-t-il, pas question de vous laisser abattre comme les autres qui n'ont pas d'espérance. En effet, Jésus ressuscité emmènera avec lui ceux qui se sont endormis. Et dans un langage imagé Paul poursuit :
« A la voix de l'Archange, au signal de la trompette, nous serons emporté à la rencontre du Seigneur. »
Une petite parenthèse : dans certaines traductions du missel, on avait supprimé la mention de la trompette : je le regrettais d'autant plus que dans son œuvre, « le Messie », Händel confie pour ainsi dire au solo de trompette le rôle d'apôtre de la foi et de l'espérance avec une vigueur et une beauté inoubliables. (Voir le n° 48 de l'œuvre) « La trompette retentira et les morts ressusciteront et nous serons changés. » (1 Cor. 15, 52)
Venons-en à la parabole elle-même : « Sortez à la rencontre de l'Epoux ! » Soyez vigilants pour ne pas rater la rencontre !
A peine un chapitre plus loin, dans l'Evangile selon St Matthieu, Jésus fait encore appel à la vigilance : cette fois-ci il s'adresse aux Apôtres au moment le plus tragique de sa vie, à Gethsémani : alors que son âme est triste à mourir il invite Pierre, Jacques et Jean à veiller avec lui : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ! » En tentation de quoi ? De désespérer. La vigilance serait donc la grande sœur de la vertu théologale d'espérance : et l'espérance s'appuie sur la foi en Quelqu'un qui a surmonté tous les malheurs du monde.
Tout le péché, pour le nommer par son nom. Cette espérance nous la chanterons tout à l'heure, nous la professerons :
« Voici l l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde... » . En effet, c'est Lui qui, aux dires de Paul, nous emportera à la rencontre de son Père.
Bien sûr nous ne sommes pas dignes de Le recevoir mais une parole nous habite dès le début et en cours de route et jusqu'en fin de vie : munis de notre petite lampe de foi, garnie d'huile d'espérance nous pouvons prier : « « Dis seulement une parole, Seigneur et nous serons sauvés. »
Et pour finir : Qu'en est-il de nous ? L'Eglise, dont nous sommes les membres, est-elle vigilante ?
Parfois elle l'est, parfois elle s'endort : toujours et encore elle est invitée à entendre l'appel de St Pierre : « Soyez sobres et vigilants, car votre adversaire le démon rôde, comme un lion prêt à dévorer : résistez-lui avec la force de la foi ! » C'est-à-dire en s'appuyant sur le Christ. Oui, si comme Pierre, il nous arrive de trahir, que cela ne nous amène pas au désespoir de Juda mais aux humbles larmes de Pierre : J'aime imaginer une parole inédite de Jésus : « Sèche tes larmes, Pierre, je respecte ton repentir : ta lampe vide, présente-la moi pour que je l'emplisse de l'huile parfumée de mon pardon que tu porteras jusqu'aux extrémités du monde. »
Frères et Sœurs, veillons donc ! N'attendons pas une annonce fracassante : veillons, aimons : oui : quel que soit notre âge, notre fonction dans la famille, dans la société, que le Seigneur nous trouve à l'ouvrage essentiel, porteur d'huile de douceur et de lumière dans un monde atrocement blessé. Faisons œuvre d'humanité, comme le dit ce chant liturgique : « Ne perdons pas ce jour : la voie juste est celle de l'amour ».
Mais là n'est pas le dernier mot : en effet, comme St Jean le décrit dans l'Apocalypse, sachons que dans le ciel nouveau et la terre nouvelle, c'est Dieu lui-même qui essuiera toute larmes des yeux de son peuple et il n'y aura plus ni mort ni pleurs ni deuil : cette vision écarte toute désespérance et ouvre des horizons nouveaux. Ce futur n'est pas une utopie : dans la vigilance, nous y participons chaque fois que l'étranger est accueilli, le malade et le prisonnier visité, l'oppression surmontée, le dialogue engagé, bref, dans toutes ces actions, le monde ancien cède déjà la place au nouveau. Même si nous sommes encore dans l'expectative, les premiers signes de la terre nouvelle sont déjà visibles : le Père de Jésus se révèle dans la plus petite de nos B.A.
Plus que jamais, en ce temps où le Christ est cloué sur de nouvelles croix : veillons, « Ne perdons pas ce jour, la voie juste est celle de l'amour. »
Et Permettez-moi, pour faire le lien avec le début de cette homélie, d'ajouter : Que St Grégoire, le Vigilant, soit notre compagnon de route ! AMEN !
La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas. Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première. Celui qui la cherche dès l'aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Penser à elle est la perfection du discernement, et celui qui veille à cause d'elle sera bientôt délivré du souci. Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d'elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre.
- Parole du Seigneur.
Sg 6, 12-16
Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau.
Je t'ai contemplé au sanctuaire, j'ai vu ta force et ta gloire. Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres !
Toute ma vie je vais te bénir, lever les mains en invoquant ton nom. Comme par un festin je serai rassasié ; la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.
Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler. Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8
Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l'ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n'ont pas d'espérance. Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
- Parole du Seigneur.
1 Th 4, 13-14
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes : les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d'huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d'huile. Comme l'époux tardait, elles s'assoupirent toutes et s'endormirent. Au milieu de la nuit, il y eut un cri : ?Voici l'époux ! Sortez à sa rencontre.? Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe. Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : ?Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent.? Les prévoyantes leur répondirent : ?Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.? Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : ?Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !? Il leur répondit : ?Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.?
Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mt 25, 1-13