Une homélie de fr. Yves de patoul
Frères et sœurs.
Jésus a commencé son ministère depuis un long temps déjà. Il a fait le choix de ses disciples qui allaient le suivre partout où il se rendrait pour entendre son enseignement nouveau et être témoins des guérisons qu'il accomplirait. Et de fait, arrivé où nous en sommes dans l'évangile de Marc, il a déjà prononcé quelques discours retentissants et il a accompli quelques faits merveilleux. Voici qu'aujourd'hui il s'accorde un temps de recueillement, de vacances dirions-nous aujourd'hui. Il décide de retourner chez les siens espérant y recevoir un bon accueil. Mais les choses ne se passent pas comme on pouvait le penser.
D'abord il prend la parole dans l'église. Il s'agit en l'occurrence de la synagogue de Nazareth, ville de ses origines familiales. En l'écoutant, quelques-uns sont dans l'admiration et se régalent de l'entendre si bien parler : « D'où lui vient une telle sagesse ? ». Ils ne sont pas dupes : ils reconnaissent en lui un grand prophète. Mais la majorité pensent plutôt qu'un fils de charpentier - c'est ainsi qu'ils le connaissent - ne peut pas leur apporter quelque chose de bon. Autrement dit : ils ne croient pas en lui, ils refusent de lui donner quelque crédit. Ce Jésus n'est que le fils d'un charpentier ! « Nous ne pouvons pas croire en lui et certainement pas qu'il est le fils de Dieu qui vient nous bousculer en remettant en question nos traditions, notre religion ».
Frère et sœurs, nous pourrions nous arrêter là en nous disant : c'est une affaire sentimentale, qui regarde uniquement les familiers de Jésus, ses proches. Comme le rappelle Jésus, nul n'est prophète en son pays. Nous ne sommes pas des juifs, ni des Nazaréens, ceux-là qui rejettent Jésus né de Marie conçu du Saint Esprit ! La question que nous devrions nous poser en ce dimanche est semblable à celle des habitants de Nazareth qui prétendent si bien connaître Jésus qu'ils ne lui font pas confiance : aimons-nous Jésus non pas à la manière des hommes, sentimentalement, comme celui qui pourrait nous réconforter par sa proximité quasi physique, celui qui serait l'objet de notre fierté, de notre gloire peut-être. « Moi, je suis chrétien et fier de l'être », comme celui qui dirait avec la même conviction : moi je suis de droite ou de gauche ; ou bien encore : je suis français ou belge avant toute chose.
Affinons notre questionnement sur notre proximité de Jésus Christ : aimons-nous Jésus comme le Fils de Dieu, celui dont l'Esprit Saint peut nous mener là où ne voudrions pas aller ? Pour nous et pour le christianisme aussi, toute la question est dans cet énigme, dans cette affirmation : Jésus n'est pas seulement homme comme nous, il est aussi Dieu qui nous interpelle sans cesse, qui veut que nous devenions homme à son image, à l'image de Dieu son Père. Il est celui qui nous relève sans cesse pour nous élever.
L'action mystérieuse de Dieu, saint Paul l'a vécue dans sa chair : en mettant sa fierté dans ses faiblesses, dans les insultes qu'il reçoit, dans les situations angoissantes au cours de ses voyages. « Ma grâce te suffit, lui souffle le Seigneur, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». D'une façon générale, l'évangile de Jésus inverse les valeurs prisées par les hommes : les derniers seront les premiers ; pour être grand, il faut se faire petit ; la véritable richesse selon Dieu, elle est cachée dans la pauvreté, le dénuement, le renoncement, l'humilité. « Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort », conclut Paul qui peste contre le Satan qui l'a handicapé : « J'ai reçu dans ma chair une écharde pour empêcher que me surestime ».
Dans tous les évangiles, on peut trouver cette constante : un attachement excessif à la nature humaine du Christ comprise au sens le plus large du mot (ses origines, sa culture, son physique, ses sentiments, ses émotions) conduit inexorablement à une impasse, ou à une remise en question. Les habitants de Nazareth ne voyaient en lui qu'un ami, un voisin, leur pote mais ils ne purent reconnaître en lui un prophète. Les parents de Jésus qui l'ont cherché pendant trois jours se font presque rabrouer : « il me faut être aux affaires de mon Père, leur dit-il ». « Ne me touche pas car je ne suis pas encore retourné vers mon Père » dit Jésus ressuscité à Marie Madeleine qui voudrait le retenir. Et celui qui ose dire : « Heureux les entrailles qui t'ont porté et les seins que tu as sucés, » il est recadré : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole et qui la mettent en pratique ». Très rarement l'humanité du Christ transparaît : nous ne savons rien de sa personnalité physique ou psychologique du Christ ! Les évangiles ne donnent aucun motif de nous attacher à sa personnalité en dehors bien sûr de ses enseignements : « Je suis doux et humble de cœur » dira-t-il à ceux qui peinent mais il nous invite tous à porter notre croix et à passer par la porte étroite qu'il aura tracée lui-même. Et les rares fois que l'émotion ou la tristesse apparaît, c'est un événement. Jésus pleure son ami Lazare, il pleure devant une Jérusalem en ruine morale. Au Jardin des Oliviers il est submergé par la tristesse et la déréliction, par le sentiment d'abandon total. Et remarquons encore que souvent, une parole ancienne parvient à la rescousse de l'évangéliste : sa conception est immaculée, sa face se durcit quand il monte vers Jérusalem, les os de sa jambe ne sont pas brisés, sa tunique sans couture est partagée : ces traits sont tous des réalisations de prophéties.
La raison fondamentale de ce relatif silence est que Jésus n'est pas un homme comme les autres puisque, né d'une femme, il est le fils de Dieu. Et c'est cette filiation divine qui est l'objet unique des évangiles : « demeurez en moi comme je demeure en vous et comme le Père demeure en moi » résume saint Jean. On peut dire les choses d'une autre façon : Jésus est un homme extraordinaire que rien ne peut arrêter : ni le manque de foi de ses disciples, ni l'indifférence, le mépris ou le reniement, ni les insultes, ni les angoisses, ni même la persécution. Il en est affecté, il en souffre certainement, mais il traverse tous ces obstacles. Toutes les Ecritures parlent de lui, convergent vers lui : sa mission de ramener tous les hommes vers le Père miséricordieux et plein d'amour et de tendresse ne connaît aucun obstacle. Il est comme Ezéchiel qui doit s'entendre dire : « qu'ils écoutent ou qu'ils n'écoutent pas, ils sauront qu'il y a un prophète au milieu d'eux ». Saint Paul est sur les traces de son maître et seigneur Christ Jésus en endurant toutes les épreuves imaginables de cette vie. Il le dit avec force et humilité.
Rendons grâce à Dieu pour toutes ces belles figures bibliques Ezéchiel, Paul et bien d'autres que le Christ a lui-même accomplies et inspirées. Ils nous sont d'un grand secours pour notre foi. Aimons tous les saints de l'ancienne alliance qui nous ont permis de mieux comprendre la vie du Christ. Aimons les hommes et les femmes que l'Eglise a reconnus comme d'authentiques saints qui ont vécu les béatitudes envers et contre toutes les critiques de ce monde. Rendons grâce pour tous ceux qui comme le Christ ont ramé à contrecourant des idéologies de leur temps et qui ont permis à l'humanité de progresser.
En ces jours-là, l'esprit vint en moi et me fit tenir debout. J'écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d'homme, je t'envoie vers les fils d'Israël, vers une nation rebelle qui s'est révoltée contre moi. Jusqu'à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le c?ur obstiné ; c'est à eux que je t'envoie. Tu leur diras : ?Ainsi parle le Seigneur Dieu...' Alors, qu'ils écoutent ou qu'ils n'écoutent pas - c'est une engeance de rebelles ! - ils sauront qu'il y a un prophète au milieu d'eux. »
- Parole du Seigneur.
Ez 2, 2-5
Vers toi j'ai les yeux levés, vers toi qui es au ciel, comme les yeux de l'esclave vers la main de son maître.
Comme les yeux de la servante vers la main de sa maîtresse, nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu, attendent sa pitié.
Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous : notre âme est rassasiée de mépris. C'en est trop, nous sommes rassasiés du rire des satisfaits, du mépris des orgueilleux !
Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4
Frères, les révélations que j'ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m'empêcher de me surestimer, j'ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j'ai prié le Seigneur de l'écarter de moi. Mais il m'a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C'est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C'est pourquoi j'accepte de grand c?ur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort.
- Parole du Seigneur.
2 Co 12,7-10
En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d'origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d'étonnement, disaient : « D'où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N'est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses s?urs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n'est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s'étonna de leur manque de foi. Alors Jésus parcourait les villages d'alentour en enseignant.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mc 6, 1-6