Homélie du 8 septembre 2024

 Il fait entendre les sourds et parler les muets 

23ème dimanche du Temps Ordinaire (semaine III du Psautier) - Année B

Une homélie de fr. Yves de patoul

Homélie :
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Cet évangile est très intéressant, exemplaire, pour deux raisons très différentes l'une de l'autre : par la concision presque légendaire de l'évangéliste saint Marc, mais aussi pour la présence des deux composantes dans la plupart des guérisons opérées par Jésus et qui sont le geste et la parole. Les sacrements de l'Eglise qui les contiennent de la même manière sont calqués sur les guérisons de Jésus. J'y reviendrai. Inutile de nous attarder sur le premier point sinon pour l'admirer. Marc a un style journalistique de véritable reporter qui dit l'essentiel sans omettre les détails significatifs que nous allons relever tout de suite. Tout détail mérite qu'on s'y arrête.

Commençons : Jésus quitte les rives de la mer pour se diriger vers une région réputée païenne, la Décapole (une région de plusieurs villes à l'est du Jourdain). Quelque part là-bas, on lui présente un homme atteint d'un double handicap : il est sourd et il est muet. Ses disciples voudraient que le Maître lui impose les mains mais Jésus a une autre idée ! Il le prend pour l'emmener à l'écart des badauds. Il lui met les doigts dans les oreilles, il touche sa langue avec de la salive, ensuite il invoque son Père du ciel et enfin il prononce le mot : «  ouvre-toi  », Effata. Les deux gestes que fait Jésus sont peut-être traditionnels, coutumiers aux guérisseurs de l'époque. Mais la guérison ne s'opère que par une seule parole qui accompagne ces gestes qui dans ce cas précis sont doubles : toucher les oreilles puis la langue.

La plupart des guérisons de Jésus, pas toutes, contiennent un geste et une parole, une parole qui est efficace, «  performative  », c'est-à-dire qu'elle opère ce qu'elle dit. Il en est de même de tous les sacrements, et plus largement du langage liturgique. Dans le baptême qui est le meilleur exemple de langage performatif, le prêtre ou son délégué (même un laïc dans un cas extrême comme le prévoit le Droit canon), quand il verse de l'eau sur la tête du prosélyte il dit en même temps : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit  ». La performativité du langage est une propriété de certains langages - tout langage n'est pas performatif, loin de là - qui a été développée par des linguistes anglo-saxons à la fin du siècle dernier. Dans mes études de sociologie, j'ai suivi un cours du professeur Jean Ladrière qui les avait étudiés avec beaucoup de passion. Je me rappelle qu'il nous disait ceci : il est parfaitement possible et normal de répéter tous les jours les mêmes mots dans la messe sans qu'on en éprouve de la lassitude, précisément parce que les paroles de la liturgie font, opèrent, ce qu'elles disent. Quand le prêtre dit : «  Prenez et mangez, ceci est mon corps, prenez et buvez ceci est mon sang  », il n'énonce pas une parole anodine, il dit quelque chose qui se produit réellement par le fait de le dire. Quelque chose se passe dans nos liturgies, je ne perds pas mon temps à écouter les mêmes phrases, les mêmes mots. Notons bien toutefois que c'est la foi seule qui permet de concevoir ou de croire que le pain eucharistique devient réellement le corps du Christ.

Le mariage des fiancés est un autre bon exemple de performativité du langage liturgique : ils se promettent fidélité en prononçant des paroles rituelles qui peuvent varier (aujourd'hui les fiancés choisissent ces paroles). Elles peuvent même se réduire à quelques mots. Par exemple «  oui, je le veux  » en réponse à la question «  veux-tu être mon mari ou ma femme ?  ». Le linguiste dira que cette phrase «  oui, je le veux  » n'énonce aucune vérité existentielle, mais les seuls mots prononcés suffisent à changer la réalité : désormais ils sont maris et femmes pour la vie.

Revenons à l'évangile : les paroles de Jésus, Effata en l'occurrence, ont le même statut linguistique que les paroles prononcées par le prêtre qui dit par exemple : «  je te pardonne tous tes péchés  ». Ces paroles font ce qu'elles disent ; ce n'est de la magie ni d'un côté ni de l'autre. Mais encore une fois, cela pourrait l'être pour l'incroyant. Et le danger nous guette tous de ne plus croire à l'efficacité des paroles sacramentelles : la liturgie deviendrait du théâtre où il se passerait des choses qui ne m'intéressent pas ou plus. J'attends que ce soit fini pour prendre un verre avec les amis. Alors que penser des liturgies de funérailles par exemple où la grande majorité des participants n'est pas croyante et/ou pratiquante ? Ce sont des situations pastorales qui méritent beaucoup d'attention. Faut-il être si discrets au point qu'on doive supprimer tout ce qui est proprement chrétien, ou bien au contraire faut-il faire comme si on feignait d'ignorer leur incroyance avec un secret espoir de les toucher quelque part. Je crois que la manière de faire des prêtres qui officient est importante, notamment comme je l'ai déjà dit ici, dans leur manière d'habiter les paroles qu'ils prononcent. La célébration de la liturgie peut être complètement différente selon que le prêtre croit ou non à ce qu'il dit.

Pour cela, nous pouvons nous inspirer de la manière dont Jésus prononce des paroles de guérison. «  Ouvre-toi  » dit-il au sourd-muet, cela signifie sans aucun doute : 'même si tu ne m'entends pas, je veux que tes lèvres parlent et que tes oreilles entendent' ; sinon on dirait de Jésus ou bien on penserait qu'il est un magicien. Le Psaume 113 que nous récitons le samedi soir se moque de ceux qui ne croient pas : «  Notre Dieu, il est au ciel ; tout ce qu'il veut il le fait. Leurs idoles or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n'entendent pas, des narines et ne sentent pas ». Dans une homélie prononcée en 2006, le pape Benoit XVI de son côté avait mis le doigt sur une surdité qui atteint de plus en plus les chrétiens (européens surtout) ; nous n'arrivons plus à entendre Dieu, disait-il en substance. «  Tout simplement, nous n'arrivons plus à l'entendre, trop de fréquences parasitent (brouillent) nos oreilles, ... De cette façon, nous perdons une perception décisive. Nos sens intérieurs courent le danger de s'éteindre. Avec la disparition de cette perception, l'étendue de notre rapport avec la réalité en général est également limitée de façon drastique et dangereuse  ». Nous devenons sourds à forcer d'entendre ou d'écouter trop de choses, trop de discours et de nouvelles unilatérales. Dieu passe au deuxième, sinon même au troisième plan. Voilà une autre piste à creuser.

Mon insistance sur la performativité du langage de Jésus et celle de la liturgie a pu déranger certains parmi vous qui se sont dit que ce sont là des considérations techniques, qui n'ont pas leur place dans une homélie. A vous de juger. Pour ma part, je trouve cet éclairage certes un peu technique fort éclairant pour notre être chrétien, nous qui assistons et qui participons à de nombreuses liturgies. C'est un des mérites du Prof. Jean Ladrière d'avoir appliqué à la liturgie chrétienne une théorie que J.L. Austin confinait surtout aux domaines de la justice et du commerce. Sachons lire même les évangiles avec ce regard technique : pour guérir un sourd-muet Jésus recourt à un type de langage qui est performatif, qui fait ce qu'il dit. Relisons le texte : Après avoir touché ses oreilles et sa langue, et levé les yeux au ciel, «  il soupira et lui dit : Effata ! Ses oreilles s'ouvrirent, aussitôt sa langue se délia, et il parlait correctement  ». Jésus fait ce qu'il dit ! C'est important pour notre vie spirituelle.

 

Alors s'ouvriront les oreilles des sourds et la bouche du muet criera de joie

Dites aux gens qui s'affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s'ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l'eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en eaux jaillissantes.

- Parole du Seigneur.

Is 35, 4-7a

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité, il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l'étranger.

Il soutient la veuve et l'orphelin, il égare les pas du méchant. D'âge en âge, le Seigneur régnera : ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

Ps 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10

Dieu n'a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres pour en faire des héritiers du Royaume ?

Mes frères, dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n'ayez aucune partialité envers les personnes. Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi au bas de mon marchepied. » Cela, n'est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon de faux critères ? Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n'a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l'auront aimé ?

- Parole du Seigneur.

Jc 2, 1-5

Il fait entendre les sourds et parler les muets

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l'emmena à l'écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c'est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s'ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n'en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mc 7, 31-37