Une homélie de fr. Pierre de Béthune
La première lecture semble nous orienter vers une méditation sur le mariage. Et, de fait, il en est encore question dans cet évangile. Mais pas uniquement, et je ne veux pas me limiter à ce domaine que je ne connais pas personnellement. Parce que je veux vous parler d'un message plus général, mais très important, que l'évangile d'aujourd'hui nous adresse.
On interroge Jésus au sujet de la Loi. Ça nous concerne tous. Les lois sont très nécessaires. Pour assurer la paix, elles précisent les limites à ne pas dépasser, par exemple la limitation de vitesse sur les routes, pour la sécurité, ou les exigences d'impartialité, de justice, dans des litiges. Mais il n'est pas possible de ne vivre qu'à ce niveau. Jésus, ne parle pas des limites à respecter ; il nous parle du cœur de la loi. Et plus précisément, il nous invite à rester présents à notre cœur, à nos raisons de vivre, et de vivre en abondance. Cela est encore plus important.
Encore faut-il que notre cœur soit lui-même vivant, et non pas 'sclérosé', - c'est le mot qu'il utilise pour désigner un cœur endurci, pétrifié, incapable de vibrer. C'est à cause de l'endurcissement de notre cœur, de notre sclérocardie, que Moïse, dans la Loi, a envisagé des lois et même une procédure de divorce. « Mais, au commencement, il n'en était pas ainsi ! »
Alors je vous demande : en évoquant ce 'commencement', Jésus fait-il seulement allusion au passé d'avant le péché originel, au temps où le cœur de l'homme n'était pas encore devenu dur, mais un temps irrémédiablement révolu ? Si c'était le cas, on devrait se demander quel sens aurait, dans sa bouche, cette évocation d'un état perdu pour tous, à jamais. Serait-ce par pure nostalgie, ou pour nous culpabiliser ? En ce cas l'évangile serait parfaitement désespérant...
Mais non ! Nous le savons, Jésus n'est pas venu pour nous mettre cruellement devant notre incapacité foncière à plaire à Dieu. Il est venu pour « faire toutes choses nouvelles », pour nous « donner un cœur nouveau », comme l'annonçait le psaume. Plus précisément, s'il parle de ce « commencement », c'est pour nous inviter à baser notre vie sur ce « cœur du commencement », notre cœur originel. Oui, il y a toujours au profond de notre cœur pureté originelle, plus forte que le péché originel ! Bien sûr, nous devons reconnaitre que nous sommes encore souvent conduits par notre 'cœur égaré', un 'cœur double', un 'cœur obscurci' (pour reprendre des expressions de la Bible), mais Jésus nous libère du désespoir en nous invitant à faire confiance à notre 'cœur pur qui verra Dieu', notre 'cœur vulnérable, ouvert à la compassion' Telle est bien la Bonne Nouvelle de cet évangile.
Elle est encore confirmée dans la suite de ce passage d'évangile retenu pour ce dimanche, où il est question des enfants que Jésus accueille caresse et bénit. Et il ajoute : « Le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent ». Sans tomber dans le sentimentalisme, nous reconnaissons qu'il y a toujours en nous, quelque part, un cœur d'enfant, un cœur de chair, souple, et capable de se dilater. Je sais que Freud avait discerné, même chez les tout petits enfants, de la convoitise et de la violence, mais il n'a pas dit qu'ils n'étaient que cela !
Entre temps, nous faisons bien d'entendre l'avertissement de Jésus dans l'évangile. Comme ces pharisiens qui citaient certaines prescriptions de la Loi de Moïse pour ne pas devoir obéir à leur cœur profond, nous aussi, nous avons souvent besoin de recours juridiques ou des prétextes du règlement, pour échapper à ce que le bon sens ou notre bon cœur nous dicte. Notre premier mouvement est souvent le bon, mais nous l'esquivons aussi régulièrement. Il y a quelques jours, un matin, je suis passé à côté d'une personne qui avait évidemment besoin d'une rencontre, d'une bonne parole. Mais j'ai prétexté qu'il n'était pas encore neuf heures et que le 'grand silence monastique' ne me le permettait pas. C'est ainsi que j'ai échappé à son appel qui me dérangeait... J'aurais dû suivre mon cœur d'enfant et prendre le temps de l'écouter.
Mes sœurs, mes frères, Je crois que nous devons davantage faire confiance à cette bonté originelle par laquelle nous sommes citoyens du Royaume de Dieu, comme Jésus nous 'affirme. N'oublions pas que notre foi en Dieu, notre Créateur, est toujours aussi une foi dans cette bonté originelle qui existe toujours en chacun de nous, plus forte que la dureté de cœur héritée du péché originel. Souvenons-nous que cette bonté originelle est aussi présente en chacun de ceux que nous rencontrons, parfois un peu sclérosée, ensevelie, oubliée, mais toujours capable de se révéler nouvellement. Nous pouvons lui faire confiance.
Je conclue.
Quelques-uns parmi les membres de notre communion de Clerlande ont célébré ou célèbreront un jubilé de 25, 40 ou 50 ans de mariage ou de vie religieuse. On peut vraiment célébrer ces anniversaires, parce qu'ils sont en lien avec le premier amour, l'engagement premier, originel. Il a fallu constamment le renouveler, bien sûr, pour qu'il ne se sclérose pas, mais c'est dans la confiance qu'« au commencement » il y avait cette énergie capable de créer et de faire croître une belle vie, oui, une vie d'amour.
D'ailleurs, mes frères, mes sœurs, dans notre vie ordinaire, nous pouvons tous rester proches de ce commencement créateur.
Le Seigneur Dieu dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l'homme pour voir quels noms il leur donnerait. C'étaient des êtres vivants, et l'homme donna un nom à chacun. L'homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l'homme s'endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu'il avait prise à l'homme, il façonna une femme et il l'amena vers l'homme. L'homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l'os de mes os et la chair de ma chair ! On l'appellera femme - Ishsha -, elle qui fut tirée de l'homme - Ish. » À cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un.
- Parole du Seigneur.
Gn 2, 18-24
Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies ! Tu te nourriras du travail de tes mains : Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !
Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d'olivier.
Voilà comment sera béni l'homme qui craint le Seigneur. De Sion, que le Seigneur te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël.
Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6
Frères, Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d'honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l'expérience de la mort, c'est, par grâce de Dieu, au profit de tous. Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu'à la gloire ; c'est pourquoi il convenait qu'il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l'origine de leur salut. Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n'a pas honte de les appeler ses frères,
- Parole du Seigneur.
He 2, 9-11
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mc 10, 2-12