Une homélie de fr. Pierre de Béthune
Oui, Noël est une fête merveilleuse, parce qu'elle nous révèle, mieux que toute autre, la façon dont Dieu nous aime, et dont nous pouvons l'aimer à notre tour.
Nous avons entendu le prophète Esaïe annoncer la venue d'un « Merveilleux-Conseiller, Dieu-fort, Prince-de-la-paix » Dans l'évangile, il est aussi question de réalités grandioses : l'empereur Auguste qui règne sur toute la terre, et puis de « la gloire du Seigneur qui enveloppe les bergers d'une grande lumière, et les anges du Seigneur qui leur annoncent la naissance d'un « Sauveur, le Messie du Seigneur ». Et puis, ils trouvent « un nouveau-né, emmailloté et couché dans une mangeoire »... Rien de plus fragile, rien de plus vulnérable, qu'un nouveau-né : même emmaillotté, il ne survivrait pas une journée, si on n'en prenait pas soin... Mais c'est bien ainsi que notre grand Dieu et Seigneur se manifeste à nous, aujourd'hui.
Mes frères, mes sœurs, accueillons ce contraste ! Il est au cœur de l'évangile. C'est cela que Dieu veut nous annoncer dans ce mystère de Noël. Certes, dans la Bible, il est presque partout question de la grandeur et de la puissance de Dieu. Mais nous avons pu constater, tout au long de l'Histoire sainte, que cela n'a pas suffi. Ces évènements terribles et merveilleux frappent notre imagination, mais elles ne touchent pas le cœur. Or Dieu ne veut pas être craint ; il veut être aimé. Il veut nous apprendre à aimer. Aussi, « quand, finalement, il a décidé de nous parler, par son Fils », c'est un enfant que nous entendons, un enfant qui respire doucement et qui parfois pleure.
La naissance de Jésus que l'évangile nous raconte nous touche, mais pas seulement parce que c'est une scène attendrissante ! Elle est la révélation très claire de la façon dont Dieu nous aime et dont il veut que nous aimions.
Il nous rappelle deux choses. Des choses que nous connaissons déjà, obscurément, mais qui sont plus importantes qu'on le pense.
Et d'abord qu'à la source de tout amour, il n'y a pas toujours l'enthousiasme ou l'admiration, mais une compassion éperdue, comme on peut l'avoir pour un nouveau-né, pour le plus petit. Et cela n'est pas un devoir, c'est un appel. D'ailleurs, comme le dit saint Paul, « Dieu a choisi ce qui n'est rien ». Nous le voyons tout au long de l'évangile, dans la façon dont Jésus s'occupe d'abord des plus indigents, ceux qui ont un besoin vital d'être aidés. Pour nous aussi, la plus grande force de l'amour nous est donnée, quand nous pouvons voir et accepter la pauvreté, l'indigence de ceux que nous voulons aimer. J'y reviendrai.
Une deuxième évidence nous est rappelée ici : à Noël, Dieu lui-même se révèle dans son indigence, son propre besoin vital d'être aimé. C'est en tout cas ainsi qu'il se révèle le plus vraiment : il ne veut rien imposer à notre liberté ; il attend seulement notre amour. Nous nous souvenons que, lors d'un dimanche d'automne, il avait également été question d'indigence. Il s'agissait d'une pauvre veuve qui avait versé deux sous au tronc du Temple, et Jésus avait remarqué : « elle a donné de son indigence ». Eh bien, il en va de même pour l'amour. On ne peut bien aimer que « de son indigence ». Je m'explique : quand on aime vraiment, on réalise qu'on n'aime pas assez, pas autant que mérite celle ou celui ou ceux que l'on aime. Notre indigence, notre incapacité en ce domaine n'est cependant pas un manque, un triste néant, elle est une attente, un désir jamais satisfait, inlassable, et donc une force démultipliée d'aimer, depuis des réserves insoupçonnées.
C'est ainsi que nous pouvons aimer Dieu : pas autant qu'il le mérite, pas autant que nous le voudrions, mais du fond de l'être. Car il y a, au plus profond de chacun de nous, des réserves insoupçonnées pour « aimer jusqu'au bout ».
« Aimer jusqu'au bout ? » Est-ce que nous avons cette force ? Mais c'est précisément ce que la fête de Noël nous rappelle : paradoxalement nous sommes capables d'aimer, si nous reconnaissons et acceptons notre manque d'amour, et si nos gestes sont, en quelque sorte, portés par une prière, un appel à 'donner de notre indigence'. D'ailleurs nous avons tous pu faire une telle expérience : c'est quand nous sommes au bout de nos possibilités et que nous faisons néanmoins un pas de plus, c'est alors que nous aimons vraiment.
Et alors notre amour n'est en tout cas pas une puissance, une grande générosité qui surplombe et écrase un peu les pauvres qui en bénéficient. Non ! L'amour ne s'impose pas. Tant pour les proches que pour les lointains, il est une humble proposition, un don spontané, et presque fait à notre insu, quand « la main gauche ignore ce que donne la main droite ».
Bien sûr, aimer chaque jour concrètement n'est pas toujours aussi facile ! Il faut aussi le vouloir ! On ne le donne pas toujours « comme la fleur, là-bas, donne son parfum ! » Vous connaissez la litanie par laquelle saint Paul le décrit l'amour véritable : « L'amour est patient, il espère tout, il endure tout... ». C'est un travail de longue haleine. Ceux qui vivent dans une communauté, familiale ou religieuse, le savent bien !
Mais je reviens ici à ce que j'avais dit au début : très concrètement pour bien aimer nos frères et sœurs, il importe de ne pas seulement le faire par enthousiasme, par admiration pour tout ce qu'ils ont d'aimable, mais aussi par compassion, c'est à dire en n'ignorant pas ce qui, chez eux, est moins beau, et peut-être pitoyable. Le vrai amour est aussi un don par-fait un par-don. Mais il ne peut se faire que 'depuis notre indigence', depuis ce qui, en nous, est aussi un peu pitoyable.
Vous voyez, chers frères et sœurs, que cette fête de Noël nous conduit loin dans notre vie la plus essentielle. Elle n'est pas qu'un intervalle, une trêve, où l'on oublie provisoirement ce qui fâche ou qui déprime, pour ensuite affronter plus sereinement une nouvelle année, toujours incertaine. Non ! Au plus sombre de l'année, au plus pauvre de notre existence, cette fête de Noël nous invite à renouveler notre vie amoureuse à la lumière la plus évidente du mystère de Dieu parmi nous.
Car nous comprenons mieux aujourd'hui que c'est « à la fraction du pain que nous reconnaissons le Seigneur toujours vivant. » Le pain : rien de plus simple, rien de plus quotidien. Mais c'est ainsi, en le partageant, qu'il veut nous être présent, qu'il veut être l'Emmanuel, Dieu avec nous. Et c'est également ainsi que nous l'accueillons, dans le pain partagé, reçu les uns des autres.
Le roi David habitait enfin dans sa maison. Le Seigneur lui avait accordé la tranquillité en le délivrant de tous les ennemis qui l'entouraient. Le roi dit alors au prophète Nathan : « Regarde ! J'habite dans une maison de cèdre, et l'arche de Dieu habite sous un abri de toile ! » Nathan répondit au roi : « Tout ce que tu as l'intention de faire, fais-le, car le Seigneur est avec toi. » Mais, cette nuit-là, la parole du Seigneur fut adressée à Nathan : « Va dire à mon serviteur David : Ainsi parle le Seigneur : Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j'y habite ? C'est moi qui t'ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. J'ai été avec toi partout où tu es allé, j'ai abattu devant toi tous tes ennemis. Je t'ai fait un nom aussi grand que celui des plus grands de la terre. Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël, je l'y planterai, il s'y établira et ne tremblera plus, et les méchants ne viendront plus l'humilier, comme ils l'ont fait autrefois, depuis le jour où j'ai institué des juges pour conduire mon peuple Israël. Oui, je t'ai accordé la tranquillité en te délivrant de tous tes ennemis.
Le Seigneur t'annonce qu'il te fera lui-même une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. »
- Parole du Seigneur.
2 S 7, 1-5.8b-12.14a.16
L'amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l'annonce d'âge en âge. Je le dis : C'est un amour bâti pour toujours ; ta fidélité est plus stable que les cieux.
« Avec mon élu, j'ai fait une alliance, j'ai juré à David, mon serviteur : J'établirai ta dynastie pour toujours, je te bâtis un trône pour la suite des âges.
« Il me dira : Tu es mon Père, mon Dieu, mon roc et mon salut ! Sans fin je lui garderai mon amour, mon alliance avec lui sera fidèle. »
88 (89), 2-3, 4-5, 27.29
En ce temps-là, à la naissance de Jean Baptiste, Zacharie, son père, fut rempli d'Esprit Saint et prononça ces paroles prophétiques : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, qui visite et rachète son peuple. Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David, son serviteur, comme il l'avait dit par la bouche des saints, par ses prophètes, depuis les temps anciens : salut qui nous arrache à l'ennemi, à la main de tous nos oppresseurs, amour qu'il montre envers nos pères, mémoire de son alliance sainte ; serment juré à notre père Abraham de nous rendre sans crainte, afin que, délivrés de la main des ennemis, nous le servions dans la justice et la sainteté, en sa présence, tout au long de nos jours.
Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins, pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, grâce à la tendresse, à l'amour de notre Dieu, quand nous visite l'astre d'en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l'ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 1, 67-79