Une homélie de fr. Bernard poupart
Dans ce fascinant récit de l'aveugle-né, l'évangéliste apparaît à la fois comme un témoin direct d'une histoire prise sur le vif et comme un narrateur qui construit habilement son récit selon une progression simple : l'aveugle voit de plus en plus clair et les pharisiens sont de plus en plus aveugles. Et tout ce récit devient un message pour ceux qui l'écoutent, pour nous donc.
Au début de l'histoire, Jésus voit un aveugle et à la fin l'aveugle voit le Fils de l'homme : « Tu le vois, dit Jésus, c'est lui qui te parle. » Entre les deux interviennent sans répit ceux qui ne veulent pas voir ce qui pourtant crève les yeux. « Il y a une seule chose que je sais, dit l'homme excédé : j'étais aveugle, et maintenant je vois ! »
« En sortant du Temple, Jésus vit un homme qui était aveugle de naissance. » Jésus voit quelqu'un qui ne peut pas le voir. Les questions jaillissent déjà pour nous : Que voyons-nous en sortant de ce temple à notre tour ? Qui voyons-nous ? Qui ne peut pas voir, mais seulement être vu ? Avons-nous le pouvoir de donner à voir ? D'autres ont-ils ce pouvoir sur nous ? Qui nous éclaire et qui nous embrouille ? Que faut-il voir ?
Voir, être vu, faire voir.
« Je suis la lumière du monde », dit Jésus, mais il précise : « tant que je suis dans le monde ». Et après alors, maintenant, qui va éclairer le monde ? Jésus a bien dit exactement la même chose de nous que de lui : « Vous êtes la lumière du monde. » Il a dit aussi : « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous les deux dans un trou. » Il faut voir pour faire voir.
Or que fait Jésus avec l'aveugle ? Il commence par lui boucher davantage les yeux ! Et d'une manière saisissante : il crache par terre et fait de la boue avec sa salive et la poussière du sol. Cette boue revient plusieurs fois dans le récit : l'aveugle raconte : « Il a fait de la boue », et encore : « Il a mis de la boue sur mes yeux », pour répondre aux questions insistantes : Comment a-t-il fait ? Comment se fait-il que tu voies ? Qu'est-ce que cette boue ?
Pour voir clair, peut-être faut-il d'abord se boucher les yeux, non pas comme ceux qui ne veulent rien voir, qui disent qu'il n'y a rien à voir, circulez ! Mais pour réaliser notre cécité, admettre que nous ne voyons pas grand-chose, nous défaire de nos visions fausses, ou de cette docilité à voir ce qu'on nous éclaire avec des projecteurs jusqu'à nous éblouir en laissant tout le reste dans le noir.
« Va te laver à la piscine de l'Envoyé ! » - « J'y suis allé, dit l'aveugle, je me suis lavé, et alors j'ai vu. » À tous les catéchumènes on va expliquer aujourd'hui qu'il s'agit de la piscine du baptême où ils vont être lavés pour être illuminés par le Christ. Notre baptême à nous est lointain, il n'a pas été une expérience consciente et décisive pour nous. Il nous faut donc l'actualiser, être baptisés jour après jour, nous laver les yeux avec l'eau de l'Évangile pour être illuminés par le Christ, voir de plus en plus clair dans l'obscurité du monde et dans nos propres obscurités.
Être illuminés, éclairés. Non pas devenir des illuminés, comme ceux qui vont crier dans les rues des slogans trop clairs qui aveuglent les autres, comme ces pharisiens qui disent : « Nous savons que cet homme est un pécheur. » Vous avez observé que entre le début et la fin de ce récit, Jésus a disparu, alors qu'on ne parle que de lui en répétant des questions lancinantes : Comment a-t-il fait ? Qu'a-t-il fait ? Où est-il ? Qui est-il ? Ceux qui questionnent ainsi s'enferment dans un aveuglement croissant.
« Je suis venu dans le monde, dit Jésus, pour une remise en question, pour que ceux qui ne voient pas puissent voir et que ceux qui voient deviennent aveugles. » C'est redoutable.
Nous connaissons ces discussions où chacun défend sa manière de voir sans accorder la moindre importance à ce que voient les autres. Est-ce qu'un chrétien baptisé y voit plus clair que les autres et sait mieux regarder ce que les autres voient ? Dieu a fort heureusement donné des yeux à tout le monde et une intelligence pour s'en servir. Les autres peuvent donc aussi nous éclairer, et peut-être dans la mesure où nous ne sommes pas trop sûrs d'y voir très clair.
Mais par son baptême, le chrétien acquiert cette vision intérieure qui lui fait découvrir le Christ comme révélation de Dieu, et entrer avec lui dans une communion spirituelle qui lui illumine le coeur. Il y acquiert alors une certaine manière de regarder en lui-même d'abord, et dans le monde. Il faut d'abord nous boucher les yeux, reconnaître nos aveuglements, et nous laver les yeux à l'eau de l'Évangile pour voir le visage de lumière du Christ et découvrir doucement la lumière qui est sur la face des autres.
Tout au long des Évangiles, Jésus invite à regarder et à voir. « Tu vois cette femme » dit-il au pharisien Simon qui lui reprochait de ne pas voir que c'était une pécheresse. C'était une femme aimante. Jésus sait poser son regard. Et il nous donne le beau regard.
Nous n'aurons donc pas d'oeillères. Nous ne serons pas des myopes à courte vue, prisonniers de nos points de vue. Nous aurons plutôt la passion de la lucidité, nous méfiant des principes trop clairs et des visions réductrices. Cherchons patiemment avec les autres à voir plus clair. Portons sur chacun le beau regard du Christ.
En ces jours-là, le Seigneur dit à Samuel : « Prends une corne que tu rempliras d'huile, et pars ! Je t'envoie auprès de Jessé de Bethléem, car j'ai vu parmi ses fils mon roi. » Lorsqu'ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab, il se dit : « Sûrement, c'est lui le messie, lui qui recevra l'onction du Seigneur ! » Mais le Seigneur dit à Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l'ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l'apparence, mais le Seigneur regarde le c?ur. » Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit : « Le Seigneur n'a choisi aucun de ceux-là. » Alors Samuel dit à Jessé : « N'as-tu pas d'autres garçons ? » Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. » Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher : nous ne nous mettrons pas à table tant qu'il ne sera pas arrivé. » Jessé le fit donc venir : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau. Le Seigneur dit alors : « Lève-toi, donne-lui l'onction : c'est lui ! » Samuel prit la corne pleine d'huile, et lui donna l'onction au milieu de ses frères. L'Esprit du Seigneur s'empara de David à partir de ce jour-là.
- Parole du Seigneur.
1 S 16, 1b.6-7.10-13a
Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ; j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.
Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière - or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité - et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt. Ce que ces gens-là font en cachette, on a honte même d'en parler. Mais tout ce qui est démasqué est rendu manifeste par la lumière, et tout ce qui devient manifeste est lumière. C'est pourquoi l'on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera.
- Parole du Seigneur.
Ep 5, 8-14
En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l'aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » - ce nom se traduit : Envoyé. L'aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui l'avaient observé auparavant - car il était mendiant - dirent alors : « N'est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C'est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c'est quelqu'un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C'est bien moi. » On l'amène aux pharisiens, lui, l'ancien aveugle. Or, c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n'est pas de Dieu, puisqu'il n'observe pas le repos du sabbat. » D'autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s'adressent de nouveau à l'aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu'il t'a ouvert les yeux ? » Il dit : « C'est un prophète. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.
Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l'homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et c'est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Jn 9, 1.6-9.13-17.34-38