Une homélie de fr. Yves de patoul
Le récit de guérison de l'aveugle-né qui mendiait à Jéricho sur le bord de la route qui mène à Jérusalem, il nous est assez familier. Bartimée, un des rares miraculés à recevoir un nom propre, représente le disciple qui a la ferme intention de changer radicalement sa vie, de suivre Jésus en franchissant tous les obstacles nécessaires. En invoquant Jésus comme fils de David, nous avons l'indication qu'il a une bonne connaissance de Jésus : c'est le messie qui, comme David et Josué revenus du nord, ont gravi la montagne de Sion ̶ Jérusalem est 1000 mètres plus haut que Jéricho ̶ . Et restons dans la première lecture de Jérémie : « C'est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d'eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas ».
Dans un premier temps Bartimée est empêché de rejoindre Jésus, rabroué qu'il est par la foule de ses coreligionnaires qui lui disent qu'il fait trop de bruit, qu'il perturbe la marche silencieuse de Jésus et des siens vers Jérusalem, et ensuite, il est encouragé par les mêmes pour aller vers Jésus parce qu'il force leur admiration par sa persévérance. D'où lui vient cette force et ce courage de braver les autres ? Sa foi en Jésus en qui il voit, malgré sa cécité, son sauveur le Messie, celui qui comme jadis faisait revenir dans l'allégresse les captifs, tous ensemble et parmi eux « l'aveugle et le boiteux ». Oui, ses cris ont fait mouche : « Jésus fils de David, aie pitié de moi », ils ont atteint le cœur de Jésus. Ses cris ont fini par faire plier le maître lui-même. Loin de l'avoir rebuté il s'est même arrêté pour lui donner satisfaction : « Va ta foi (ta persévérance, ton courage) t'a sauvé ».
Il faut dire que ses cris n'avaient rien de commun ni de vulgaire : c'était une véritable prière qui a été reprise par des générations de chrétiens : « Jésus fils de David aie pitié de moi », invocation, exclamation à laquelle la tradition ajoute souvent « pauvre pécheur ». Bartimée mérite toute notre admiration en se reconnaissant pécheur de la plus belle manière et en suppliant son Seigneur de le guérir de sa cécité et en même temps de sa condition misérable de mendiant.
Je note qu'il existe une autre manière de regarder la figure de Bartimée. Elle est un peu caricaturale mais elle peut nous faire réfléchir. Pour cela nous nous dirigeons vers d'autres tentes où la prédication prend une autre tournure assez différente de la nôtre. En l'occurrence, vous êtes au milieu d'une foule nombreuse et vous entendez ce pasteur protestant évangélique vous dire ceci : « Vous avez beau être fort riche, avoir plusieurs servantes et domestiques, vous avez beau avoir plusieurs comptes bancaires bien alimentés, rouler avec des belles voitures dans la ville, voler en jet, etc ... si vous ne connaissez pas Jésus, vous êtes comme ce clochard au bord de la route, vous resterez dans un état lamentable à vous contenter du morceau de pain quotidien que l'on vous jette ; et vous n'avez qu'une seule chose à faire et le plus vite possible : vous tourner vers Jésus, le supplier de vous guérir de votre péché pour lequel Jésus a versé son sang, bref devenir son disciple ». C'est un langage très direct (peu respectueux pour le pauvre Bartimée), mais il contient une vérité que nous connaissons tous très bien : au temps de Jésus, la maladie ou le handicap était un signe du péché. La cécité symbolise l'aveuglement spirituel. Même si nous évitons d'insister trop lourdement sur cette vérité qui est de nature historico-culturelle (toute la Bible baigne dans cette croyance et R. Bultmann, un théologien protestant début 20e S. a essayé de démythologiser les évangiles sans beaucoup de succès), nous ne pouvons pas échapper complètement à cette assimilation certes osée (de la maladie ou du handicap physique au péché) au risque d'affadir tous les miracles de Jésus, d'en réduire très fortement la portée symbolique. La figure biblique de l'aveugle est bien celle de l'homme qui ne veut pas voir la vérité, qui demeure dans les ténèbres, qui est imperméable à la grâce.
Notre prédicateur évangélique dira encore que le péché de Bartimée, faisant allusion à sa mendicité, c'est aussi le péché très répandu, insistera-il, de ne pas vouloir recevoir de Dieu une grande part de lui, de se contenter des miettes tombées de la table des riches (qu'on peut comprendre selon différents sens). La mendicité devient le symbole de la médiocrité. Il convaincra donc ceux-là de ne pas rester dans un état de pauvreté spirituelle, de mendiant qui se contente de très peu, mais au contraire de vouloir vivre réellement sa vie en conformité avec le Christ en y mettant tous les moyens qu'il faut et qui sont à sa disposition.
Frères et sœurs, ne soyons pas tellement choqués par ce genre de prédication évangéliste qui vise évidemment à vous faire retourner comme on le fait avec une crêpe. Et d'ailleurs, nos prédications ne manquent-elles pas souvent de punch ? Nos messes ne sont-elles pas trop aseptisées ? Notre langage liturgique ou non n'est-il pas trop fade, très circonspect, ne voulant choquer ni les uns ni les autres ?
Je voudrais esquisser quelques leçons qui pourraient rejoindre la catéchèse profonde que saint Marc nous livre dans cet épisode. Bartimée est, me semble-t-il, la figure par excellence du disciple qui veut prendre sa vie en main. Pourquoi ? parce que son handicap est très invalidant comme l'on dit de quelqu'un qui a un lourd handicap : il est marginalisé, dépendant des autres, il se contente des miettes que les autres lui donnent. Sa seule issue est cette opportunité unique qui se présente à lui : rencontrer le Christ seul capable de lui rendre la vue, de lui faire voir de ses yeux la réalité, de le remettre en route avec les autres avec un objectif qui en vaut la peine. Nous reconnaissons-nous dans cette figure ? Si c'est non, nous ne devrions même plus venir ici. Je dirais même plus : se contenter de venir à la messe et tourner le dos au Christ dès que nous avons franchi le portail n'est pas suffisant pour être considéré comme un disciple du Christ. Ainsi de même dans ma vie quotidienne j'oublierais que je fais route avec Jésus Christ et les siens. Je veux exprimer par là toute sorte de choses qui font de nous des chrétiens ou non. Je m'abstiens par exemple de critiquer les autres, de faire obstacle à la marche imprimée par l'ensemble de mes frères et validée par des bornes très difficilement franchissables. Je me sacrifie (renoncement, conversion) pour mon prochain.
Les commentateurs de notre évangile sont nombreux à faire remarquer que Bartimée jette son manteau avant de rencontrer Jésus : « Il jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus ». Nous pouvons y voir la nécessité, pour obtenir le salut, de se défaire, de se dépouiller de ses richesses, et moi j'ajoute : de ses certitudes personnelles qui nous empêchent même d'implorer la guérison. Je parle de certitudes qui nous figent dans un passé révolu, qui nous paralysent parce qu'on ne veut pas accepter une voie nouvelle que l'Esprit a révélée. Ne pas vouloir s'accorder avec son entourage c'est comme revenir à la triste situation de notre frère Bartimée qui vivait dans un isolement insupportable.
Je vous invite à relire le texte de la guérison de l'aveugle mendiant Bartimée en vous identifiant à lui en utilisant de façon perspicace toute la symbolique que je nous avons entrevue ensemble. Peut-être en découvrirez-vous d'autres encore pour votre lectio divina, pour votre édification spirituelle ? Bonne chance !
Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d'Israël ! » Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c'est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d'eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné.
- Parole du Seigneur.
Jr 31, 7-9
Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie.
Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! » Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie.
Il s'en va, il s'en va en pleurant, il jette la semence ; il s'en vient, il s'en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.
Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6
Tout grand prêtre est pris parmi les hommes ; il est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ; et, à cause de cette faiblesse, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple. On ne s'attribue pas cet honneur à soi-même, on est appelé par Dieu, comme Aaron.
Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s'est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l'a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l'ordre de Melkisédek pour l'éternité.
- Parole du Seigneur.
He 5, 1-6
En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s'arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l'aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t'appelle. » L'aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L'aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. » Aussitôt l'homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
- Acclamons la Parole de Dieu.
Mc 10, 46b-52