La seconde chose qu'il s'agit d'observer est le souffle, la grande pompe de la respiration. Elle est active à tout instant mais le plus souvent nous n'en avons aucune conscience directe. En méditant, je me mets à suivre le travail de cette pompe. Je veille à ne plus la perdre de vue. Dès que je respire consciemment, je suis tout à fait à mon affaire. Dès que je décroche de ce double mouvement - expirer et inspirer - je suis dans ma tête, dans mes pensées, mes associations, mes lubies ou autres fantasmes. Or méditer, c'est laisser courir tous ces singes qui sautent dans notre baobab. N'essayons même pas de les dominer, de les refreiner ou dompter. On a intérêt à les laisse aller, ou encore selon un mot d'un maître japonais, à propos des pensées et distractions : Swallow them down : « Avalez-les vers le bas ! » Évacuer, éliminer, trancher d'un coup sec la tête, comme fait un bon chasseur quand il voit un serpent menaçant : « Une fois la tête coupée, le reste du serpent n'est qu'un bâton » (proverbe africain).
Expirer est plus important qu'inspirer. La grande expiration se fait avec l'abdomen, en se servant des muscles du ventre : on pousse celui-ci vers le fond contre la colonne vertébrale, et celle-ci, curieusement, se met d'elle-même bien droite, de façon souple et non comme on dit de quelqu'un qu'il a « avalé son parapluie ». Le « S » du dos est droit mais souple, détendu.
Un maître disait : « Notre respiration marche comme la pipette d'un compte-gouttes. En expirant vous pressez la pipette, et d'elle-même celle-ci se remplit à nouveau ». De même on sent revenir de soi la fonction d'inspirer après avoir pressé avec les muscles abdominaux le ventre vers le fond, expirant jusqu'au bout. Trop souvent notre respiration se limite à la hauteur des épaules. On connaît aussi la respiration costale, toute en largeur ; la troisième respiration, abdominale, est celle qu'on ne pratique pas spontanément, il faut y engager les muscles abdominaux. Or c'est elle qui doit pourtant dominer durant toute la méditation.
La transition entre la longue expiration et l'arrivée de l'inspiration est quelque chose de merveilleux. Cela nous arrive comme un don, une grâce. En fixant ce moment unique je découvre, déjà au niveau même de mon corps, que « tout est grâce ». La vie m'est donnée, je respire encore et encore, quelle merveille ! Cette bonne et pleine conscience a en soi quelque chose de thérapeutique : je cesse de tout attendre de mes efforts, je m'ouvre au donné, à ce que justement je ne produis pas moi-même, purement « à la force de mes poignets ». « Tout est don », ces trois mots, se dégageant de l'exercice conscient de la respiration, est un petit refrain que l'on peut se répéter sans pour autant décrocher de l'attention à la respiration elle-même.
fr. Benoît Standaert osb.
(c) Clerlande 2022.
Qui veut poursuivre la réflexion sur la méditation, peut consulter l'interview de Maciej Bielawski en Italien, janvier 2022 : Une série de questions essentielles.